études de cas

Avril 2009
Librairie « La Tartinerie », un lieu de rencontre autour du livre, France
Atelier 7 Lux’09
Martine Théveniaut

1- Fiche d’initiative (Atelier 7)
2 – Visite de la délégation internationale « En route vers LUX’09 » (18 avril 2009)

1- Fiche d’initiative (Atelier 7)
Installée à Sarrant (village gersois de 300 habitants) depuis Juillet 2000, la librairie a toujours eu comme ambition de participer au développement de la lecture pour le plus grand nombre, à l’animation et l’attraction du territoire, au développement local, en offrant un espace convivial et un choix de livres de qualité. En tant que librairie généraliste, afin de répondre à une demande de proximité, la librairie maintient un fond d’ouvrages de plus de 15 000 titres.

Lieu : Sarrant village de 300 habitants situé dans le Gers à 1 h de Toulouse, 45 mn d’Auch et 45 mn de Montauban

Mise en Place du projet : 1999/ 2000

Porteurs de projets :
-  Catherine MITJANA : parcours professionnels dans l’accompagnement de projets d’individus, d’entreprises, de territoires.
-  Didier BARDY : parcours professionnels dans l’accompagnement de projet en milieu rural.

Objectifs :

Création d’un lieu convivial de rencontre autour du livre associant librairie et tartinerie (petite restauration) dans un petit village loin des axes routiers. Cet éloignement qui à priori était une contrainte, est devenu un point fort car on a décliné ce projet autour de ce décalage :
-  décalage dans le temps : ouverture le week-end et les vacances scolaires , quand les gens ont le temps de venir,
-  - décalage dans l’espace : loin des axes, la librairie peut représenter un refuge, une halte, un ailleurs, un endroit que l’on a « gagné » et où l’on se pose,
-  Décalage dans l’offre autant pour les livres que pour les produits alimentaires qui sont tous choisis par leur qualité mais aussi qui font lien avec les producteurs et éditeurs

Ce lieu se revendique donc dans le domaine de l’économie sociale et solidaire en associant des activités marchandes et non marchandes, l’économie restant au service du projet pour assurer sa pérennité et le maintien des objectifs « politique »
-  Volet culturel : rendre accessible le livre en s’orientant vers une littérature de qualité,

  • avec des livres choisis et en favorisant des ouvrages de fond,
  • en privilégiant la petite édition,
  • en développant les livres professionnels pour permettre aux intervenants des champs du développement local, du social de la formation d’approfondir leurs pratiques,
    -  Volet social en créant un lieu de vie ouvert à une mixité importante de population et en favorisant les rencontres entre eux (ruraux, urbains, groupes de jeunes, de personnes agées, de personnes handicapées, de personnes en insertion,…)
    -  Volet économique :
  • En mettant en place une politique de prix rendant avec des produits alimentaires de qualité (bio, commerce équitable) accessible au plus grand nombre,
  • En effectuant des choix éditoriaux visant le maintien d’un nombre important d’ouvrages de fond à rotation lente,
  • En offrant des animations hebdomadaires gratuites : conférences, rencontres avec des auteurs éditeurs, concerts, expositions…

Etapes de la réalisation :
1999 : création de la SCI Madrid entre les deux porteurs de projets et achat d’un bâtiment en ruine au centre du village : création de l’association LIRES (Lieu pour l’Initiative la Rencontre et l’Echange à Sarrant) avec 6 autres membres fondateurs,
2000 : restauration du bâtiment et ouverture le 1er juillet 2000 ,
2005 : Création de la SARL « Des livres et Vous »

La règle de « prudence » a été le maître mot dans la construction économique du projet ;
-  respect du bâtiment et réalisation des travaux au coût le plus juste,
-  pluri-activité des porteurs de projets avec abandon progressif de l’activité précédente de salarié,

la Librairie Tartinerie aujourd’hui

-  Ouverture les fins de semaines et tous les jours durant les vacances scolaires de 11h à …minimum 22 h et à la demande pour des groupes soit plus de 220 jours par an.
-  Publics : Isochrone 20 mn : 35% Au delà, originaire de la Haute Garonne (agglomération Toulousaine) : 20 % Au delà, originaire du Gers : 30 % Autres origines : Tarn et Garonne, touristes :15%

-  Orientations :

Développement des livres professionnels avec le déplacement de la librairie sur des manifestations relatives au développement territorial dans toute la France (sélection d’ouvrages adaptés aux thématiques) et avec la création d’un site dédié à cet objet : www.lalibrairiedesterritoires.org.

-  Quels acquis :

La confrontation au quotidien avec le système économique global a renforcé l’engagement politique des porteurs de projets : cette activité exige un engagement au quotidien en tant que service à la collectivité, une vigilance constante pour maîtriser ses choix. L’importance du livre dans le développement de la pensée critique mise à mal par le monde de l’édition amène de fait à prendre une position politique et donc à revendiquer son choix de libraire.

Coordonnées : La Librairie Tartinerie
Place de l’Eglise 32120 SARRANT - Tel 05 62 65 09 51 - Fax : 05 62 65 09 52 ; email : info@lires.org - www.lires.org - wwwlalibrairiedesterritoires.org

2 – Visite de la délégation internationale « En route vers LUX’09 »

Une des réussites du projet : prouver que c’est possible !

Didier Bardy a « la passion du livre ». Catherine Mitjana tient à « un lieu de rencontre autour du livre ». En 2000, ensemble, ils font le choix de quitter, progressivement, leurs précédentes activités, fonctionnaire territorial au Conseil régional de Midi-Pyrénées et consultante. La Librairie Tartinerie associe vente de livre, restauration légère (à base de grandes tartines variées, accompagnées de salades copieuses), animations, expositions, vernissages.

Ce choix de plier l’économie au service du projet, c’est… une baisse de revenus et une retraite qui s’éloigne dans le temps ! Ils commencent avec un statut associatif. Au bout de trois ans, les impôts leur font prendre conscience qu’il faut être fou pour fonctionner comme ça ! bénévole, perdant leurs salaires, perdant la valeur du local commercial. En cas de faillite, ils perdent tout !! Ils ont progressivement modifié leur fonctionnement et passent en SARL en 2005 : le capital (fond de commerce, fond de livre) leur appartient. Aujourd’hui, ils retirent 2 SMIC de leur activité.

Dans l’économie du livre, il faut que celui-ci tourne 5 fois par an pour que le commerce soit rentable. Or, dans cette petite commune rurale, il tourne 2 fois ! Donc le stock leur appartient. Le pari et la priorité, ce sont les petits éditeurs, les livres peu connus. C’est sortir du système dominant, tenu en mains, à 80 %, par 2 gros distributeurs : Hachette (c’est aussi les canons, les missiles, Matra, Lagardère…) et Interforum dont le président est Antoine Seillère !

Quelques chiffres :

  • 35% des acheteurs viennent d’un cercle à 15 minutes de temps ; 25% de l’agglomération toulousaine, 25% du département du GERS et 15 € du passage de visiteurs touristes.
  • 80% du chiffre d’affaires est réalisé à la Librairie, les 20% restants lors des salons.
  • 20% du chiffre d’affaires est réalité par la restauration (mais c’est en diminution).
  • Une dizaine de librairies s’inspirent de cette expérience, en l’adaptant : une à Condom autour des livres de cuisine ; Auch des bandes dessinées.

Une autre façon de vivre sa ruralité.

Didier, après avoir été agriculteur, auteur d’une thèse sur les pluriactifs, voulait créer dans un petit village, être ouvert week-end et vacances, ouvrir les habitants du lieu sur la lecture, ouvrir le village sur l’extérieur… Au départ, c’était une initiative personnelle. Elle s’est progressivement inscrite dans le projet du territoire. C’est un plus pour le tourisme et la vie locale. Pour autant, elle n’est pas portée par « le Pays Portes de Gascogne »… bien que Didier soit le président du conseil de développement !

« Un libraire debout ».

Didier se compare à un de ses amis qui tient son stand assis, en train de lire. Ils ne viennent pas du livre, ni lui ni Catherine. On n’est pas déçu parce qu’on est dans les projets, on crée du lien. On sait pourquoi on est là.

La caractéristique de la Librairie de Sarrant, c’est un choix de livres en rapport avec des engagements. Le livre, outil d’émancipation. Il veut montrer comment tout est organisé pour amener tout le monde à penser la même chose ! C’est là que le plus grand nombre de l’ouvrage « Domestiquer les masses » a été le plus vendu de toute la France : 130 exemplaires ! Les livres qu’il vend le plus sont ceux qu’il préfère !

La Librairie Tartinerie est associée à de nombreux projets, comme par exemple « le mois de l’éditeur », la promotion d’ÉRÈS, des animations sur place avec des éditeurs, des auteurs, des tables de livre là où des acteurs sociaux se réunissent autour de problématiques comme le handicap, le territoire, l’économie solidaire … en prêtant le véhicule et le fond d’ouvrages si besoin !

Echanges :

  • Ben Quiñonès : Tu vas vers les gens ! c’est une approche très différente d’une approche de marché. La personne est un être qui réfléchit et pas seulement un acheteur (valeur/prix). La nouvelle économie considère la personne avec sa dignité. Tu nous montres comment tu traduis ta préoccupation, l’amour des gens, en expliquant l’intérêt d’aller chercher ceci ou cela dans le livre. Si on fonctionnait comme ça, on ferait vite comprendre ce qu’est cette nouvelle économie ! ça me fait réfléchir, m’inspire beaucoup et va me faire changer sur le comment éduquer les gens …
  • Denison Jayasooria : Le succès, ce sont deux personnes, leurs compétences entreprenariales, leurs connaissances sans cesse renouvelées. Dans une librairie classique, on suit un guide commercial !
  • Judith Hitchman : Le livre est au service de l’être humain et pas un objet isolé de son contexte.

Après-midi avec les clients de la Librairie et des membres du conseil de développement du Pays Portes de Gascogne qui ont répondu à l’invitation de Didier Bardy et Catherine Mitjana.

Vingt personnes sont assises au soleil sur la place de l’église, pour faire connaissance.

Ben Quiñones se présente : Invité par la FPH à participer à un groupe de réflexion sur l’alternative économique, il commence par analyser comment faire pour l’appliquer aux Philippines. La solidarité ce serait quoi ? Lech Walesa en Pologne ? Il faut des mots en langue locale pour transposer cette notion. Il existe bayanihan pour l’exprimer : partager l’affection et la peine.
Comment la mettre en œuvre ? Il développe la notion de « voyage apprenant », raconter des histoires sur ce que nous faisons jusqu’à réussir à nous comprendre.
À partir de ces acquis, il a pu développer des projets avec des investisseurs en 2004/2005 : « l’hébergement juste » avec les squatters, sans toit, venus du rural, des constructeurs, des fournisseurs, les propriétaires du terrain… Même squattées, les terres ont une valeur (3 à 5 000 pesos le m 2). Libérées, elles en valent de 20 à 30 000 ! Tout le monde peut ainsi trouver son avantage à la construction de logement sur ces terres. Le programme de réalisation dure environ 18 mois : les investisseurs gagnent 30%, les propriétaires valorisent leur terrain et les pauvres apprennent à économiser pour acquérir, d’abord les moyens d’une activité, puis leur logement. Les agences gouvernementales font des prêts à long terme.
Ainsi, l’économie solidaire : c’est soigner l’environnement, avec des marges pour les investisseurs et une juste répartition pour toutes les parties prenantes de l’occupation du sol.

Denison Jayasooria : de Kuala Lumpur où il mène une vie urbaine dans un cadre trépidant, il n’aurait jamais imaginé se trouver ici, à rendre visite à des personnes, relations de François et Martine ! Son grand-père, Sri-Lankais, est venu se fixer en Malaisie en 1910. _ Il fait partie d’une des cultures minoritaires du pays. Les musulmans sont largement majoritaires. Ses activités associatives et bénévoles sont concentrées sur les communautés minoritaires, non aidées par le gouvernement.
Quand Ben lui présente l’économie solidaire, il y a deux ans, cela contribue à faire naître des initiatives en Malaisie. Elles ont restructuré la façon dont les gens travaillent avec trois priorités :
- En tant que professeur (Institute for Ethnic Studies – KITA -, National University of Malaysia - UKM), il a introduit la solidarité économique dans le MBA des écoles de commerce, avec des études de cas, préparées par Ben. Cela produit des prises de conscience.
- De longues discussions ont eu lieu dans le contexte de « voyages apprenants » avec des réseaux et des associations de travail communautaire, car il n’y a pas de sécurité sociale en Malaisie (femmes seules avec enfants, détenus, personnes âgées… sont laissées pour compte). Deux questions ont été examinées : Comment mettre « les usagers » des associations en capacité de ? Comment des ONG peuvent-elles devenir autonomes financièrement ?
- L’entrée de la Responsabilité sociale des entreprises est la 3ème des priorités, car elles s’en servent pour se médiatiser et c’est tout. Les hommes d’affaires ont peur du mot « solidarité ». Sa femme rend visite, une fois pas semaines à des communautés indigènes pauvres d’un district (un département pour nous) qui dépendent des forêts tropicales pour vivre (35 villages) pour développer des activités économiques, des échanges spirituels… Lors des réunions d’aînés, des messages sont portés comme priorités : se prémunir de la spoliation de la terre (titre de propriété) ; la plantation du caoutchouc (l’avenir), 5 familles en vivent au bout de 3 ans. Les exemples de solidarité ici et les écrits de cette visite serviront à la promotion de l’économie autrement.

Yvon Poirier : Jusqu’en 1996, « l’économie sociale » n’existait pas, on parlait de coopération. Lors d’un Sommet socioéconomique convoqué par le gouvernement du Québec, avec le patronat, le syndicat, etc. les mouvements sociaux se sont fait entendre. Un processus se met en route, débouchant sur une stratégie de développement de l’économie sociale, dans un sens très voisin de l’économie solidaire ici. En dix ans, ce mouvement s’est développé dans des secteurs pas présents (petite enfance, habitat, services aux personnes…). Le gouvernement bonifie le système avec un service d’accès universel (7$ / jours soit 4€). 2500 personnes descendent dans la rue quand il veut revenir en arrière ! En 2006, un nouveau Sommet des tous les acteurs est réuni pour un bilan et réunit 700 personnes et même le 1ier Ministre de la Province du Québec. Et en novembre 2008, un nouveau programme est voté pour soutenir l’entreprenariat collectif : 15 millions $ en 5 ans. La reconnaissance de la transformation nécessaire de l’économie actuelle est amorcée. Ce mouvement n’est pas politique, tous les partis l’appuient.

Questions :

Une personne du parti socialiste : En quoi l’économie solidaire est-elle alternative au capitalisme ?

  • Ben Quiñones : Entre le capitalisme privé et le capitalisme public, il n’y a pas de place pour une participation substantielle des personnes. Dans les programmes d’ « Habitation juste », la propriété est collective pour toutes les parties prenantes. Et les pauvres sont mis en situation de capacité. C’est le premier avantage de l’économie solidaire. Le partage des bénéfices concerne aussi le peuple. Si les citoyens n’ont pas les initiatives en mains, ni l’Etat, ni les entreprises ne peuvent se substituer à eux. C’est pour ça que l’économie solidaire est une alternative.
    Le modèle de l’Etat providence rend dépendant. Depuis 1945, la partie se joue à deux Etat et Marché : quand ça marche le public renvoie au privé et quand ça ne marche plus c’est l’inverse. Si ces acteurs flanchent, le troisième acteur, le tiers secteur, peut se saisir de la balle. Mais il n’a pas été formé à ça ! Il faut apprendre aux gens à se gouverner.
    L’autre rôle du gouvernement est d’assurer la sécurité des biens publics (personnes, monnaie, redistribution de la richesse). Le plaidoyer de l’économie solidaire ne consiste pas à revendiquer cette place, mais à demander à l’acteur public de remplir son rôle : la bonne répartition et l’apprentissage pour que la société civile devienne le joueur principal. Ben donne l’exemple d’une coopérative de consommateurs au Japon qui se plaignait de ne pas pouvoir jouer le jeu de l’import/export. Il leur demande s’ils connaissent la faim ou le chômage. Ils répondent que non, et en plus ils font des économies pour garantir la sécurité alimentaire locale, l’achat des produits aux agriculteurs, aux éleveurs. Pourquoi la crise est-elle contenue ? à cause de l’économie solidaire…
  • Denison Jayasooria : prend le cas de la Malaisie. Le groupe dominant contrôle les ressources. Les minorités ne sont pas formées, elles sont exclues et du marché et de la démocratie. Rien ne peut changer sans un cadre qui rend les gens autonomes. D’où ce processus de capacitation…
  • Yvon Poirier : dans les années 70 au Québec, les gens ont mesuré l’incapacité de l’Etat et du système économique d’apporter des réponses aux problèmes du centre-ville ou de la dévitalisation rurale. C’est pourquoi la réponse a été citoyenne.

Question : Quelles relations entre les initiatives citoyennes et les politiques publiques locales ?

  • Yvon Poirier : Une autre stratégie a été initiée en 1998 avec la mise en place des Municipalités régionales de comté (MRC, en gros nos intercommunalités). Elles remplacent les agences de développement économique dont la mission était d’amener des entreprises sur place. Les Comités Locaux de Développement sont des structures ouvertes aux syndicats, aux entreprises, aux mouvements sociaux, à côté des élus locaux. Leurs conseils d’administration votent l’utilisation d’un budget pluriannuel, sur la base d’un diagnostic et d’un projet pour le territoire. Un budget spécifique est alloué à l’entreprenariat social. Une institution financière, la Caisse d’économie populaire Desjardins, intervient pour l’entreprenariat collectif et pas que sur des questions sociales. Il existe, bien sûr, des résistances pour la prise de contrôle de ces CLD de la part des élus municipaux.
  • Didier Bardy : Le milieu coopératif ici s’est tourné vers l’économie libérale.
  • Yvon Poirier : Au Québec comme ici, les grands groupes suivent les règles du marché, même si le principe demeure un homme = une voix. Ils reconnaissent la nécessité de transformer le système, sans trop savoir comment.