études de cas
Alain Yvergniaux : L’histoire apprenante d’un élu de Bretagne, du local à l’international, de 1995 à 2010 .
RENSEIGNEMENTS/IDENTIFICATION
1. Auteur de la fiche : Martine Theveniaut , entretien du 19 mai 2010, Paris.
Date de rédaction de la fiche : 27 mai 2010
à usage exclusif de documentation
2. Identification de l’expérience : Installation de relations de territoire à territoire entre la la Région Bretagne et l’Afrique de l’Ouest : la filière coton bio et équitable
Conseil régional : 283, avenue du Général Patton, 35711 Rennes Cedex 7
Tél : 02 99 27 10 10 /Fax : 02 99 27 11 11
Courriel alain.yvergniaux@wanadoo.fr
3. Localisation
Pays : France, les 8 pays de l’UEMOA : 7 francophones : Sénégal, Burkina Faso, Mali, Togo , Bénin, Côte d’Ivoire, Niger et 1 lusophone : la Guinée Bissau
« Infra » (régionale et/ou locale). Bretagne.
4. Domaine.s d’activité : (cocher une à 2 cases)
DESCRIPTION
1. Objectifs initiaux
Depuis quand :
Cet entretien est destiné à reconstituer le chemin personnel depuis la période où Alain Yvergniaux était investi dans les Pactes Locaux, comme élu communal de Betton (1995), ainsi qu’élu de l’Agglomération Rennes métropole (2001). Mais ce cheminement est aussi destiné à mettre en évidence des évolutions, des changements d’échelle, des développements et d’en tirer des enseignements.
Un engagement personnel de longue date, porté par des valeurs humanistes et des convictions.
Cet entretien sera un mélange de mon itinéraire personnel et d’une évolution…dans mon parcours de militant politique. Car ça part du militant associatif, politique, du besoin que j’ai ressenti de changer de mandat politique pour changer d’échelle (1995) et ensuite agir opérationnellement à une échelle plus pertinente (conseiller régional en 2004). En cela, le mandat régional m’a particulièrement intéressé.
De la commune de Betton à l’Agglomération rennaise, avec le CODESPAR.
Quand j’étais investi dans les Pactes Locaux, j’étais maire-adjoint de Betton, Ille et Vilaine, et vice-président, en 2ème mandat de Rennes Métropole, en charge de l’économie sociale et solidaire. À cette époque là, où on évoquait les liens entre pouvoirs politiques et société civile, on avait la particularité d’avoir le CODESPAR (Comité de Développement Economique et Social du Pays de Rennes). Il avait été souhaité par Edmond Hervé, élu pour la 1ère fois en 1977, et qui, dans les années 85, voulait avoir l’équivalent d’un conseil économique et social qui puisse rendre des avis sur les politiques publiques, et avoir une capacité d’autosaisine sur des sujets sociétaux et le développement territorial. Il l’a voulu avec des collèges : patronat (surtout la CCI, mandatée par les entrepreneurs, qui a toujours été plutôt coopérante, les 5 syndicats de salariés, importants et nombreux, un collège des élus politiques. Le collège associatif est venu après.
Quand j’ai été élu à Rennes Métropole en 2001, j’ai créé la délégation économie sociale et solidaire (ESS). On n’en parlait pas. On a créé le Réseau des Territoires de l’Economie Solidaire en 2001, avec 5 autres villes : Lyon, Grenoble, Lille, Nantes et Toulouse. On était rès peu donc à s’intéresser à développer cette forme d’économie et d’entreprenariat. Il était difficile de faire comprendre aux collègues de quoi il s’agit - et c’est encore vrai aujourd’hui - tant l’approche orthodoxe de l’économie reste prégnante dans tous les esprits. Coopération, non centré sur le profit, ça apparaît sympathique mais pas très sérieux ! J’ai fait l’analyse, je ne le ,regrette pas, qu’il ne fallait pas que je cherche dès le début, à créer un service pour structurer tout ça, à demander un gros budget…. J’ai fait le choix d’une démarche plus structurante, plus longue, qui donne envie de prendre en compte l’ESS à part entière comme une dimension de l’économie. J’ai fait le choix que le CODESPAR anime la réflexion sur l’importance de l’ESS pour le développement économique de notre territoire rennais, et qu’il soit force de propositions : accompagnement des porteurs de projets, repérer les besoins sociétaux et sociaux qui pourraient donner naissance à de nouvelles entreprises. Plusieurs syndicats, le collège associatif étaient sensibles à l’économie sociale. Le patronat n’était pas fermé, il a accepté de discuter. Il y avait un terreau favorable.
On a créé une commission économie sociale au sein du CODESPAR en 2002. Beaucoup de chances, la gauche était au pouvoir, Guy Hascoet avait été nommé par Lionel Jospin, Premier ministre, dans la seconde partie de son mandat, comme Secrétaire d’Etat à l’ESS. Il avait lancé son appel à projets. On a préparé rapidement le dossier, qui a été apprécié au SEES comme démarche structurante, associant plusieurs parties prenantes. Tout était prêt, car il y avait dix ans de mouvement des acteurs locaux derrière. On a signé une convention avec Hascoet, avec un plan d’action sur 3 ans, ce qui nous a donné des moyens. On a été une des seules collectivités où l’Etat a respecté son engagement de 3 ans. Ce qui nous a beaucoup aidé, car c’était des moyens assez importants ( plus de 120 000 € sur 3 ans) : pour des études, du temps de permanent. C’est une période importante : la commission a été suivie, les collèges y ont participé, y compris les leaders entreprenariaux classiques qui se sont pris au jeu, les services de proximité. On a réussi à fédérer, à faire travailler ensemble les différentes familles de l’économie sociale qui se connaissaient finalement assez peu : mutualistes, coopératives, associatives. On a repéré des freins qui pouvaient empêcher ou brider son développement : les éternels tours de table financiers, où les gens, notamment dans le milieu associatif, s’épuisent à avoir tous les financeurs. On a simplifié, convaincu qu’il fallait des lignes, des comités uniques qui traitent de ces questions là. On a beaucoup travaillé sur la garde d’enfants, les horaires atypiques, plein de sujets qui sont autant de graines semées qui perdurent aujourd’hui.
Élu conseiller régional en 2004, l’organisation territoriale « infra » en Pays et la solidarité internationale
J’y suis rentré en 2004, dans l’équipe de Jean-Yves Le Drian, avec en charge l’ESS et je me suis beaucoup intéressé au développement économique à l’international. J’ai toujours eu la dimension régionale chevillée au corps et au cœur. Je pense qu’on peut ressentir l’identité régionale fortement, sans pour autant que ce soit un territoire « terrier ». Au contraire, l’ancrage dans le territoire est aussi source d’ouverture au monde. Les Bretons sont fiers de leur territoire, de leur culture, mais ce sont des gens qui ont toujours été ouverts au monde, par nécessité et aujourd’hui par envie. Très tôt, ça fait partie de mes plus fortes envies de vouloir un jour travailler pour la Bretagne, parce que je trouve que c’est un bon échelon, on peut très vite bien connaître tous ses acteurs. C’est une des faiblesses que je ressentais à la fin dans l’exercice d’un mandat local. On est souvent dans de la gestion de l’urgence, moins à l’agglo qu’à la commune, mais c’est moins satisfaisant pour la dimension structurante. Je n’ai pas été déçu à la région. Bien sûr, on est moins en prises avec les questions quotidiennes, ceci étant, les questions économiques et l’emploi sont des questions quotidiennes, mais on travaille sur du moyen et long terme. Nos relations avec la société civile - comme on dit - et avec les réseaux… sont extrêmement intéressantes à cet échelon. Je suis de plus en plus convaincu que les régions sont des espaces pertinents pour conduire des politiques très concrètes de lutte contre la pauvreté, le changement climatique, parce que c’est un espace qui permet d’engager des actions structurantes de moyen et long terme. Ce sont des espaces suffisamment grands, disposant de moyens, mais pas surdimensionnés, qui gardent le contact avec les acteurs, avec la société civile, pour mettre en mouvement, mobiliser.
On a estimé que le Pays était le bon territoire, de taille suffisante, pour la définition, l’émergence, la mise en mouvement de choses intéressantes. Une des premières choses que l’on a faites, à la Région, c’est de proposer à tous les territoires de Bretagne de s’organiser en pays. On a 21 Pays. Cette notion de Pays a d’ailleurs été conceptualisée en Bretagne, il y a une bonne trentaine d’années… On a proposé à chacun des Pays de se saisir de notre appel à projet de pôle de développement d’ESS (PDESS). Ils devaient être créés à l’initiative des acteurs, pouvoir en rassembler plusieurs, et pas seulement ceux qu’on a l’habitude de rencontrer, pouvoir mêler au moins les différentes familles de l’ESS et de la société civile, mais aussi s’associer des acteurs économiques, servir à la mise en réseau pour permettre l’émergence de nouveaux projets d’économie sociale, créateurs d’emploi.
La Région a pu avoir des cofinancements de CG, voire de villes et des agglos. Elle met 45 000 € par pôle et par an, de façon pérenne, pour financer un poste de permanent. Ça continue. Aujourd’hui 15 pays sur 21 sont couverts par des PDESS. Rennes a été l’un des premiers à répondre. Tout le travail qu’on avait fait au CODESPAR entre 2001 et 2007, très logiquement, a débouché sur une association autonome du CODESPAR - « Réseau solidaire » - qui a rassemblé tous les anciens de la commission économie sociale. _ C’est devenu le pôle de développement ESS du Pays de Rennes, financé par la Région, le CG et Rennes Métropole. Il a embauché 2 permanents.
Pour en finir avec l’épisode CODESPAR, il faut savoir qu’il garde sa mission de veille, de propositions, d’autosaisine, y compris sur ces questions là…
Un engagement actif dans la solidarité internationale, avec des convictions.
Depuis 2004, en charge l’ESS et je me suis beaucoup intéressé au développement économique à l’international, avec le suivi de notre Agence qui s’appelle Bretagne international, et à travers ça, en relations avec un tas de réseaux nationaux, européens et internationaux, dans lesquels je me suis beaucoup investi. Pour dire deux mots sur les questions Nord Sud et pauvreté, j’y ai toujours été extrêmement sensible. Je suis rentré dans le monde politique, j’avais 17 ans, avec l’Amérique latine, Chili, Brésil, Argentine, dans les années 1972 / 73, c’était encore des dictatures militaires. Le point de vue que j’ai défendu avec JY Le Drian, président du Conseil régional, qui m’a toujours soutenu là-dessus, est assez simple : dans une approche humaniste, on ne peut pas fermer les yeux sur les inégalités du monde. Au contraire de ce que peuvent dire un certain nombre de théories libérales, ce ne sera pas réduit avec l’ouverture des marchés. Je suis pour une certaine forme de mondialisation, mais pas forcément celle qui est mise en œuvre depuis une 20ne d’années. En tous cas, les pays du Sud et les pays les plus pauvres, notamment Africains, n’y ont pas trouvé leur compte, bien au contraire. Les inégalités continuent à s’accroître pour un certain nombre de pays, avec des inversions de tendance sur des espérances de vie, des choses invraisemblables. Aujourd’hui, des questions énormes se posent sur la sécurité alimentaire, comment nous on vit dans le Nord, des questions qui ont émergé, qui heureusement sont maintenant admises, sur les conséquences sur la vie et la survie de l’espèce humaine sur terre, liées à ce modèle de développement. Aucun être humain ne peut s’en désintéresser.
Concernant la pauvreté et la lutte contre la pauvreté, à commencer par la sécurité alimentaire, c’est à travers l’approche économique qu’on arrivera à solutionner les choses. Pour que les gens se nourrissent, il faut qu’ils aient des revenus ; pour qu’ils aient des revenus, il faut qu’ils aient des emplois ; pour qu’ils aient des emplois, il faut des entreprises. Je ne sais pas faire autrement. Dès l’instant où on est dans cette démarche là, essayons dans des pays où il y a beaucoup à faire, de ne pas reproduire les bêtises qu’on a nous-même faites et de concevoir d’autres échanges mondiaux, une autre mondialisation qui articule éthique et économie. Je suis convaincu qu’on peut le faire, et qu’on ne va pas avoir le choix. Sinon on va au mur, on en est peut-être pas loin. La conviction qu’on peut au moins expérimenter sur cette articulation éthique et économie, sans nier qu’une entreprise a besoin d’être rentable, mais il y a des niveaux raisonnables de rentabilité, des limites qu’on ne peut pas dépasser.
Pour répondre à quel.s besoin.s :
L’Afrique de l’Ouest, c’est 85 millions d’habitants, une heure de décalage horaire, une énorme attente vis-à-vis de la France, presque tous classés dans les 25 derniers en termes de pauvreté. Pour situer le niveau des inégalités, le PIB cumulé des 8 Pays de l’UEMOA, c’est la ½ du PIB breton ! La plupart ont pourtant des ressources humaines (envie, formation) qui permettraient un autre développement, des ressources naturelles qui permettraient une autosuffisance alimentaire. Comme tous, ils connaissent la corruption, les guerres (Côte d’Ivoire), mais sont aussi en très forte progression, y compris en termes démocratiques, une jeunesse qui ne demande qu’une chose : de l’emploi.
2. Modalités de réalisation (comment)
Tous les jolis projets sont avant tout des affaires d’humains qui se rencontrent et ont envie de faire des choses ensemble. En 2006, mon vieux copain Kofi Yamgnane, Breton Togolais installé en Bretagne depuis 40 ans, qui a été maire, député, ministre, m’a gentiment enguirlandé en me disant que notre approche économique internationale de la Bretagne était tourné normalement vers la Chine, l’Inde, le Brésil…mais qu’on oubliait, comme tous les autres, cette pauvre Afrique. Je n’y ai pas été insensible. Pour nous faire changer d’avis, il nous a mis en relations avec Soumaïla Cissé, président de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA).
Comme dans les affaires de relations humaines fortes, il y a des rencontres, on dit qu’on se reverra, et on sait qu’on ne se reverra pas. Et avec S. Cissé, quand on s’est quitté au bout de 2 heures en disant qu’on se reverrait, on savait qu’on se reverrait. On s’est revu et 3 mois après, on l’a invité à l’assemblée générale de Bretagne international qui est là pour accompagner les PME bretonnes qui veulent se lancer dans les échanges internationaux. S Cissé se trouve avec 300 chefs d’entreprise à Lorient, en juillet 2006, et présente l’Afrique pendant 2 heures. En ne cachant rien des difficultés : corruption, guerres, famines… et en soulignant ce qui est moins évoqué par la presse française, ses énormes atouts, et en invitant la Bretagne à s’intéresser à l’Afrique de l’Ouest.
Avec JY L Drian, on a promis d’imaginer une coopération économique qui soit décentralisée (jumelages) : une petite région Bretagne, pleine d’envies, avec un énorme espace. J’ai beaucoup cogité avec Bretagne international le dernier trimestre 2006 et on a mis en place, progressivement un plan d’action qui se traduit aujourd’hui par 4 volets.
J’ai tenu à loger cette coopération innovante avec l’Afrique de l‘Ouest, dans le budget de l’économie sociale. C’était logique que ce soit là-dedans.
Le premier volet du plan d’action à trois ans, par ordre chronologique : c’est mettre des PME en contact avec des homologues africaines.
On a emmené une trentaine de PME bretonnes dans trois pays en huit jours (Burkina Faso, Togo et Bénin) on a continué , le mois de janvier suivant, par le Mali et le Sénégal. On a fini le tour des 8 pays en 4 ans. À chaque fois, avec 25 à 30 PME. On a fait un peu de pub la 1ère année, mais maintenant, on n’en fait plus du tout. Comme tout le monde, quand ils y sont allés une fois, ils n’ont qu’une envie c’est d’y retourner. Il se passe quelque chose dans ces rencontres. Ce n’est pas rationnel, ça touche à l’humain, l’impossibilité d’oublier ce qu’on a vu, entendu, pas avec de la pitié. Mais ce n’est pas possible, il y a tellement de choses à faire !
Le rôle de la Région s’arrête presque là. Une fois qu’ils sont en contact, on essaye de voir et de leur dire : si vous faites du business ensemble, parce que c’est l’objet de ces missions, essayez de le faire avec un minimum d’éthique, pas pour épuiser l’Afrique une fois de plus et avoir des pratiques néocoloniales. En espérant qu’un jour, les échanges se jouent dans les deux sens. Pour le moment, ce sont plutôt des boîtes bretonnes qui vendent à des entreprises africaines, car tout est préparé pour qu’elles rencontrent leurs homologues. Les échanges dans l’autre sens, ça commence à venir…Fait important, on commence à avoir des cas très concrets d’entreprises bretonnes qui, séduites par l’Afrique de l’Ouest et ses atouts économiques et sociaux, sont en train de s’installer là-bas : des filiales avec des capitaux africains.
Le deuxième volet : c’est la filière coton bio équitable.
Il se trouve que je connais bien Eric Orsenna et qu’il venait de sortir son petit bouquin sur le coton et la mondialisation, pendant le 1ier voyage qu’on a fait au Burkina Faso, en janvier 2007. Dans le 1ier voyage, il y avait une entreprise bretonne, Ekyog de Rennes, qui emploie 20 personnes, en croissance à deux chiffres. Sa spécialité, ce sont les articles de mode sur le biologique pour les femmes et les enfants, avec un discours DD et une approche économique et sociale exemplaire. Le PDG est très sympa. Je l’ai suivi dans ses contacts dans les champs de coton. Avant de repartir, j’en ai parlé à S. Cissé. Je lui ai dit mon intuition qu’autour du coton bio équitable, il y avait moyen de monter quelque chose d’intéressant qui créerait de l’emploi, à intérêt réciproque entre la Bretagne et l’Afrique de l’Ouest. Il s’est dit intéressé pour poursuivre la réflexion. Six mois après on avait imaginé et construit un modèle économique, prêt à démarrer.
Le montage est le suivant : on a mis 800 000 € sur 3 ans : 1/3 la Région Bretagne, 1/3 l’UEMOA et 1/3 le MAEE qui a trouvé le projet très innovant. Ces moyens servent à accompagner plusieurs milliers de cotonculteurs. On s’est donné un objectif de 5000 (on n’y est pas encore), au Mali et au Burkina Faso qui sont deux grands pays cotonniers, pour qu’ils produisent du coton bio.
Ces objectifs répondent à des motivations environnementales : le coton utilise plus de ½ des pesticides mondiaux, avec des impacts sur la santé humaine extrêmement forts. L’OMS recense plusieurs 100nes de morts liés à ça, et à très long terme dans les fibres qu’on porte sur le corps. Motivations économiques aussi, car c’est un marché qui est en train de monter dans les pays du Nord, demain dans les pays du Sud , et qui favorise l’insertion économique des femmes qui n’allaient pas dans les champs de coton pour leur santé et celles des enfants. L’argument de l’eau n’est pas un frein en Afrique, car ce n’est pas un coton d’irrigation, c’est un coton pluvial, à la différence du Pakistan ou de l’Inde.
Il ne s’agit pas seulement d’accompagner la production, mais aussi de trouver des débouchés. On a monté un réseau d’entreprises textiles en Bretagne, où tous les gens qui s’intéressent au textile jusqu’à la distribution peuvent s’engager à acheter cette production de coton biologique, avec les pratiques du commerce équitable. Ce réseau montre qu’il restait en Bretagne un secteur textile, pas si petit que ça, avec des Armor Lux à Quimper, des collections de prêt à porter, mais surtout des vêtements de travail avec des gros contrats, avec la police, la SNCF, la région Bretagne…mais d’autres aussi : Fileuse d’Arvor à Quimper , Dolmen à Guingamp et TDV Industries à Laval, la seule en Europe qui file, tisse et teint. C’est 400 salariés et un patron très engagé dans le DD, le commerce équitable…Ce réseau s’accroît, ce matin même, avec Petit Bateau, racheté par Yves Rocher, il y a 4 ans. Ce n’est pas simple, la crise a freiné des projets. Au fur à mesure, le réseau se développe.
Les 800 000 € ont été confiés à une ONG suisse, Helvetas, parce qu’ils étaient présents depuis très longtemps au Mali et au Burkina Faso, qu’ils avaient un grosse expertise sur le coton biologique, une approche conceptuelle des inégalités et du développement humain avec laquelle on est en phase. Anti-OGM. Ils sont très professionnels et gèrent l’accompagnement des cotonculteurs pour qu’en trois ans ils récupèrent les rendements et deviennent autonomes. Ils sont rémunérés avec les prix du commerce équitable, pas des surprix, mais des prix justes,.
La crise est arrivée entre temps, elle perturbe, mais on reste confiant dans le développement de cette filière coton bio, ses prolongements et ce qu’elle peut apporter. Sur la méthode, ce qui est important, c’est que :
1 – ce n’est pas un projet des financeurs du Nord, l’UEMOA est à montant égal de la Région Bretagne et on y tenait beaucoup les uns comme les autres, c’est extrêmement important.
2 – il provoque une dynamique collective en Bretagne. Beaucoup de gens nous disent : comment vous avez fait ? J’ai décroché mon téléphone et appelé le patron d’Armor Lux. Il m’a reçu et trouvé le projet génial. Nous, Région, notre rôle s’arrête là. Après c’est à eux de faire du business, mais on suit ça tout de même un peu. Autour de ce projet, on sert de metteur en mouvement, de pilote. Nos réseaux politiques facilitent beaucoup les choses. Mais après, on y a associé les entreprises et tous ceux qui veulent rentrer, même aux marges de la Bretagne, des lycées professionnels qui forment aux métiers de la mode (3 sont impliqués et ont demandé au rectorat de labelliser des formations commerce équitable, en s’appuyant sur ce partenariat), des ONG, l’éducation populaire (une très grande expo avec des photos imprimées sur des rouleaux en coton bio, pour une approche pédagogique dans les écoles et les collèges…) Tout un bouillonnement, motivant et satisfaisant.
Le troisième volet : parachever la filière en contribuant à ce que la valeur ajoutée reste le plus possible sur place.
Avec des filatures, pas à une échelle industrielle, il y a eu des filatures de ce type en Afrique, mais elles ont fermé, on est plus centré sur du petit industriel voire de l’artisanal. Aujourd’hui tout le coton brut repart en Europe, comme d’hab… ! C’est le problème de l’Afrique. Je repars en Afrique dans 3 semaines pour ça. On a fait réaliser une étude dont on va avoir le rendu. J’ai vu des dizaines d’ateliers portés par des femmes. Avec des savoir-faire artistiques, couleur, vêtement ... qui pourrait se développer 10 fois ce qu’elles font, avoir des salaires décents et créer de l’emploi, mieux vivre, si elles avaient les 100 à 200 € qui parfois leur manquent pour acheter le matériel nécessaire. Je pense à cette femme qui a dû refuser une commande de 300 pièces identiques parce qu’elle n’avait pas des bassines assez grandes pour avoir le même bain ! Il n’y a pas de structures de microcrédit, pas d’accompagnement…
Comment une collectivité comme la nôtre, avec ses partenaires, pourrait appuyer- appuyer car ce n’est pas à nous de le faire - la constitution d’une classe moyenne africaine qui manque cruellement dans cette partie de l’Afrique. Il y a des porteurs de projet, des envies, des savoir-faire ... mais il manque un tas de choses autour : de la microfinance à la logistique, la formation etc . Dans ce cadre là, on a inauguré un projet il y a un mois à Dinard, porté par la fondation Hébert Sola Groupe. Elle a légué un bâtiment sous condition de s’occuper de la jeunesse dans le monde. Ses dirigeants ont eu vent de notre projet et avaient un bâtiment disponible. Ils nous ont proposé de monter un projet qu’on a ensuite discuté ensemble : accueillir une promotion de 30 entrepreneurs africains, deux fois par an, pour suivre une formation à Dinard. Ils sont sélectionnés par un comité mixte d’acteurs de Bretagne et d’Afrique de l’Ouest, sur la base d’un dossier assez costaud pour éviter les effets d’aubaine. On veut des gens qui aient un projet entreprenarial engagé, ou alors assez élaboré pour le décrire précisément. Ils auront un enseignement académique avec un partenariat à l’Université de Rennes, Supdeco etc… en management, stratégie, ressources humaines, gestion. L’intérêt de le faire à Dinand et pas à Dakar ou Bamako, c’est que la ½ du temps, ils seront en stage dans des PME bretonnes de leur futur secteur d’activité.
Ils vont découvrir in situ des contraintes, des process de travail qu’ils adapteront à leur manière quand ils seront chez eux, mais aussi nourrir des relations partenariales de parrainage, voire plus si affinités entre PME bretonnes et ces futures PME d’Afrique de l’Ouest.
J’y crois énormément et ça parachève cette articulation : revenus –emplois – entreprises – porteurs de projets. On aura deux promotions en 2010 : la première a démarré en avril/juin, la seconde à l’automne. Même principe 1/3 financé par la Bretagne, 1/3 l’UEMOA, dernier 1/3 l’Europe et la Fondation. Les stagiaires ne payent que leur transport.
Le quatrième volet de notre coopération économique porte sur la sécurité alimentaire.
C’est un sujet de préoccupation majeure. Si ce n’est pas aussi prégnant qu’en Afrique de l’Est, il y a quand même régulièrement des gros coups de chaud en Afrique de l’Ouest, notamment avec la volatilité des coûts des matières premières et des denrées alimentaires. On est très présents dans des organisations comme la Conférence des Régions périphériques et Maritimes. On a été initiateurs de réseaux de régions du monde comme le FOGAR (Forum Global d’Associations de Régions) dont on est fondateur avec la Toscane. On a organisé à Dakar, le 15, 16, et 17 janvier 2010, le premier sommet mondial des régions sur la sécurité alimentaire.
On était à Bruxelles la semaine dernière sur les suites à donner à ce sommet qui a été très intéressant. On cherche quelles suites très concrètes on va pouvoir y donner. Outre la Bretagne, en sont membres la Basse Normandie, Midi-Pyrénées, l’Aquitaine, la Toscane, le Pays basque espagnol, la Catalogue, des amis africains, de l’Inde, du Québec… Nous voulons mobiliser nos forces, nos compétences : non pas pour apporter de l’aide alimentaire d’urgence, ça va de soi. Des ONG sont là pour ça. Il s’agit de développer des produits structurants, dans l’esprit que je viens de décrire, pour promouvoir un développement endogène. Je cite souvent cet exemple. En juillet 2008, à Bouaké en Côte d’Ivoire, je devais rencontrer des entrepreneurs, j’ai couché dans un petit hôtel local, local. Le matin je suis allé dans un petit restaurant pour mon petit déjeuner : le café c’était du Nescafé qui venait de Suisse, de la confiture de Hollande et du beurre de Bretagne, alors que dans un périmètre de 50 km autour, il y avait tout ce qu’il faut pour un excellent petit déjeuner. 85 % de tout ce qui est consommé en Afrique de l’Ouest, y compris le textile, vient d’ailleurs.
À Bamako, il y a des périodes où des milliers d’enfants sont sous-nutris en protéines laitières, alors qu’à 600 km de là, dans le pays Dogon, sur le fleuve Niger, on déverse tous les soirs des milliers de litres de lait, car dans ce pays d’élevage, on ne sait pas quoi faire du lait, ne sachant pas comment le conserver. La production n’est pas le principal problème. Le problème se situe en amont : les semences, les rendements, le stockage des semences, le financement des semences. Je pourrais faire une démonstration économique et financière qui montre qu’aujourd’hui, un paysan qui voudrait partir de zéro, produire du mil, du coton, c’est impossible qu’il gagne de l’argent avec ça. À la fin de l’année, il a survécu et il doit encore de l’argent aux banques. C’est ça qu’il faut arrêter et là, on a des solutions à mettre en œuvre.
La question est donc moins la production, que toute l’organisation en amont et en aval : conservation, transformation, logistique, transport. Comme c’est systémique, il faut agir sur tout en même temps ; c’est ça qui est compliqué… et je passe sur les blocages et les freins de tous ceux qui ont intérêt à garder le système en place. C’est pour ça que l’échelon régional m’intéresse beaucoup. Je vais bientôt au Burkina Faso, je passe une demi-journée avec S. Cissé pour causer de ça avec lui. On a déjà parlé de ça des nuits entières, on va continuer, parce qu’il est en position, avec les chefs d’Etat que je rencontre également, pour peu qu’ils en aient envie, de pouvoir repérer les freins et agir. Les maigres budgets des Etats de l’Afrique de l’Ouest sont alimentés, pour une bonne partie, par les taxes à l’importation ! Si on leur dit, on va vous aider à mettre en place des prêts éthique qui visent à moins importer, il faut qu’en même temps, il y ait un jeu de bascule, avec un système TVA ou autre, pour que les pertes soient compensées . Tout ça est à régler en même temps. Ce n’est pas une question de « yaka ». Le chemin est semé d’embûches, certaines acceptables qu’il faut contourner, d’autres ne sont pas acceptables car ce sont des gens qui s’enrichissent avec le système. Et ceux-là sont bien en place. Il y a mille choses à voir en même temps. Il faut avoir vraiment cette approche globale. Je pense que la région commence à être un échelon de taille politique, économique et en termes de ressources qui commence à être intéressant pour travailler ces questions là.
3. Avec qui (en relations de coopération avec…) : Portage à l’initiative de la Région Bretagne
4. Orientation actuelle et bilan :
1) Bilan du mandat régional et perspectives :
Les pôles de développement de l’ESS sont l’initiative majeure du mandat 2004-2010.
Les emplois associatifs ont aussi été une mesure phare . À l’évidence, le fait associatif y occupe une place majeure. Ce ne sont pas des emplois « Tremplin ». On en finance chaque année une 100ne, sur un mode dégressif sur 4 ans. Ils sont destinés à des associations dont l’activité a une vocation régionale et qui interviennent sur des thématiques prioritaires : éducation populaire, DD, environnement, insertion, intérêt général. Ça a très bien fonctionné, avec une question aujourd’hui : leur pérennisation, dans un contexte de suppression de subvention d’Etat et de très grande difficulté à ce que d’autres collectivités prennent le relais de ce qu’on a fait. Il faut réfléchir, quitte à en faire moins, pour pérenniser des structures associatives qui remplissent un rôle important en Bretagne. C’est un sujet auquel on est très attaché : ce qu’on vit sur la Bretagne, ce n’est pas seulement des beaux paysages, c’est une qualité humaine de vie, la capacité à coopérer au-delà des clivages politiques. On arrive très vite à se rassembler sur des enjeux communs.
Aujourd’hui, on voit que de grands réseaux associatifs sont dans le flou. Certains ont besoin de renouveler leur approche. Le 21 ° siècle ne sera pas le même que le 20° ; d’autres réseaux apparaissent, d’autres modes relationnels. C’est aussi parce que leur financement se tarit, que le bénévolat n’est plus le même, que l’approche militante de l’engagement n’est pas moindre, mais elle est différente. Le fait associatif conserve toute son importance, énorme, pour l’avenir. La région va connaître une croissance démographique très forte dans les 25 ans à venir. C’est gigantesque ! En matière d’accueil de nouveaux habitants, de vivre ensemble, dans des espaces urbains en train de se reconfigurer. La question de l’associatif va être centrale.
L’autre gros sujet sur lequel on a beaucoup axé notre campagne 2010, c’est la jeunesse. L’engagement du président c’est : « un jeune un toit, un jeune un projet ». Le politique doit remplir son rôle de synthèse, de mise en mouvement, avec les réseaux et avec ceux qui sont partants pour réfléchir là-dessus. La 1ère vice-présidente est chargée de la jeunesse, c’est un symbole.
2) Bilan de l’action de coopération internationale.
On va en rester à ces 4 volets, car il faut les faire vivre.
Aujourd’hui le nouveau changement que je voudrais accomplir, dans mes nouvelles fonctions, c’est voir, avec d’autres régions de France et d’Europe, du monde (Québec…), comment mutualiser nos préoccupations, dans des réseaux comme la CRPM ou le FOGAR. L’étape que l’on a convenu de réaliser est de mutualiser nos pratiques, nos envies, nos difficultés avec les Catalans, les Italiens ; Basques, Québécois, pour qu’à 4 ou 5, 6 ou 7, on puisse accélérer, avoir un impact plus rapide et plus fort.
L’autre difficulté, qu’il faut trouver comment transformer en opportunité, c’est la question des moyens, et c’est un souci. La région Bretagne a un petit budget et on est engagé dans des restrictions budgétaires dramatiques. L’Etat n’a plus de sou, donc il va falloir à faire des projets efficaces et économes en argent.
6. Dimension.s de la solidarité de l’initiative selon l’auteur de la fiche.
Relier éthique et économie : ACUF, AFD… la ligne de fond va être de aire sortir des projets humanitaires vers l’économique. Tout l’enjeu, c’est de refaire le pont entre économie et humanisme et d’arriver à définir ce que peut être une économie éthique. Je n’ai pas envie de dire « les 10 commandements », ni de faire un label, on n’en sortira jamais comme ça. Ce qui m’intéresse ce sont des réflexions pour accompagner des changements de comportements dans les entreprises. Un patron qui a vu l’Afrique a bougé dans se tête. Je crois qu’onn peut remettre de l’éthique, avec des rythmes, des modalités différentes…aujoudd’hui
La question des moyens : Il faut cibler les dépenses sur le plus utile et construire de nouveaux partenariats, publics/privés. Je suis persuadé qu’on peut intéresser beaucoup d’entreprises. Le leit-motiv et l’argument importants, c’est tout ceci ne peut se faire que si chacun y trouve de l’intérêt. Par humanisme, on tient une année, deux années, mais au moindre pépin, ça chute.
L’intérêt réciproque :On ne peut conduire ce genre de projet dans le temps si c’est dans un seul sens. L’intérêt que les acteurs de Bretagne peuvent y trouver, je ne dis pas que ce n’est pas monétaire, mais ce n’est pas seulement monétaire, c’est politique, humain, c’est l’implication dans la construction d’un monde qui fonctionne un peu autrement. Pour des entreprises, ce sont des débouchés, mais aussi, en interne, d’autres sources de contentement. En tous cas, pour construire du partenariat, il faut de l’intérêt réciproque. C’est passionnant.