études de cas

17 septembre 2009
Pays cathare : Voyage apprenant dans l’Aude
Martine Théveniaut

1. Rencontre avec Eric Andrieu, élu dans la région Languedoc-Roussillon (France) le 19 avril 2009.

2 – Accueil au Conseil général de l’Aude
Rencontre avec Eric Andrieu, élu dans la région Languedoc-Roussillon (France) le 19 avril 2009.

Présentation

Tout le monde lui conseille de faire carrière ailleurs, mais son choix c’est « Ici parce qu’il est d’ici ! ».
Il commence comme élu de Villerouge-Terménès où il est né. Cette commune a moins de 100 habitants. Il crée une association de développement local basée sur un projet de territoire qui compte 2,8 habitants au km2, pire que le désert ! Une telle situation oblige à inventer.
Puis il est élu de son canton (un territoire qui regroupe une 20ne de communes) et siège pendant 18 ans au Conseil général du Département de l’Aude. Ses responsabilités au départ sont : l’environnement, l’eau, les déchets, le patrimoine, l’associatif… puis le développement local pour le Département.

Qui est à l’origine de ces initiatives : un élu local Croire à un avenir possible recrée une énergie collective. Il initie un processus qui fait du patrimoine un levier de développement et fédère progressivement les Audois. Il fonde son projet sur l’histoire d’une « hérésie » médiévale, le catharisme, qui s’est opposé à la riche église catholique et aux seigneurs du nord de la France qui viennent conquérir leurs terres et se finit dans un bain de sang. À Villerouge-Terménès, il se trouve que le dernier « parfait cathare », Bélibaste, a été brûlé en 1321. En 1988, il lance une grande fête médiévale, avec beaucoup de bénévolat. C’est un grand succès. Elle sert pour redonner confiance. C’est un acte compliqué quand on est dominé de retrouver confiance…
Le constat est le déclin de l’économie rurale. Sans un projet global, les flux du marché vont continuer à appauvrir le Département. Une étude marketing réalisée à la fin des années 80 crée la surprise en révélant que le catharisme est connu en France et au-delà. Il est perçu dans l’esprit des gens comme basé dans le Sud de la France. Le patrimoine, en termes de marketing, crée du lien avec une marque commerciale territoriale. Dès lors, l’intérêt commun devient supérieur à la somme des intérêts particuliers. Agriculteurs, hébergeurs, guides… sont reliés entre eux et permettent de surmonter les grosses divisions entre les identités locales des microterritoires, entre les catégories d’acteurs, entre les visions du passé des spécialistes du patrimoine et de l’histoire …

Le maillage territorial.

Eric Andrieu se trouve devant une situation paradoxale : une histoire et des monuments témoin d’un côté, un marché vérifié par l’enquête marketing d’un autre côté, et au milieu, un produit à inventer. Le lien avec le territoire, c’est que les touristes qui viennent, mangent et dorment sur place… Mais avec seulement une dizaine de châteaux, les mailles sont trop grandes, alors on y ajoute les abbayes romanes. Puis une signalétique commune et des logos, les mêmes pour tout le département. La marque territoriale sert également à fédérer les filières économiques (25 à 30), avec des critères de qualité et un label. Ainsi, on resserre le filet. C’est le maillage territorial.

Convaincre… l’effet miroir et autre leçons…
Pour faire partager son projet, il doit déployer beaucoup de conviction, passer beaucoup de temps, avec les chambres consulaires, les commerçants, les élus locaux, et autres acteurs des filières économiques. Aux filières porcs, agneaux, bœufs… il explique que s’ils s’organisent entre eux, ils ont un marché local important. Quand les crises de la vache folle et autres sévissent, la preuve est faite car ces filières survivent et augmentent leurs marchés.
Le Département met des moyens pour vendre les produits du territoire dans toute l’Europe. Le programme européen LEADER pour le développement rural a fait gagner dix ans dans la réalisation du programme. L’effet miroir a fonctionné. Ce ne sont pas les Audois qui ont reconnu l’intérêt du programme. La reconnaissance est venue de Bruxelles avec tout ce que ça a permis de déclencher…

Quelques chiffres aujourd’hui :
- 17 châteaux et abbayes dans le circuit des visites ;
- 3 millions de visiteurs par an ;
- 1000 entreprises « marquées » « Pays Cathare » ;
- Une marque territoriale européenne reconnaissance de qualité
- 5 territoires de projet (les Pays du Département de l’Aude) sont le support territorial d’une politique départementale de promotion. Enseignements tirés de la démarche (freins, leviers) ?

Eric Andrieu : Ingrédients et méthodes d’une action territoriale participative
Le travail ensemble autour d’un concept est une méthode pour surmonter les conflits.
Dans les relations politiques de pouvoir « dominants / dominés » où sont engagés les élus, les modalités gagnantes sont dans le rassemblement : il faut trouver les biais pour éviter les concurrences, les conflits. Le travail ensemble, c’est une méthode pour les surmonter. Un concept comme « Pays cathare » est un bon outil pour ça.
On ne peut pas modéliser, mais indiquer quels sont les ingrédients. Ils sont à disposition pour le monde entier, pour que les acteurs prennent leur avenir en mains, en particulier les autorités locales.
Le préalable c’est le pourquoi on fait ensemble.
Puis viennent les croyances, les méthodes, les moyens… Le temps (la durée), la réalité culturelle dans la vie des gens comptent beaucoup, car les systèmes sont différents partout … Il faut aussi une bonne sociologie des rapports de pouvoir pour agir.

Quelles perspectives pour…la suite… ?

  • Ben Quiñones : Il pense à Lux’09… Merci pour l’occasion de venir ici. Maintenant il comprend le langage, la terminologie. En Asie, on parlerait d’approche intégrée. Comment faire pour que des histoires comme celles-ci puissent émerger à Lux’09 ? À l’atelier 7, tout le monde serait en lien, d’une façon ou d’une autre, avec un tel exemple. Avec une variété d’approche, quelles pourraient être les conclusions de « ce voyage apprenant » ? Cette expérience est un espoir pour chaque village et un espoir de nouvelles synergies pour le Forum de novembre 2009 au Japon. On aurait besoin d’un groupe de réflexion de ce type, pas académique. Comment engager la Commission européenne sur un programme là-dessus ? Car l’aide de la FPH est limitée. Il faut en discuter à l’atelier 7.
  • Martine Theveniaut : Proposer un groupe de réflexion international sur les approches territoriales, les outils, les méthodes « apprenantes », les essaimages possibles, la place de l’histoire, la formation par la rencontre entre acteurs différents les uns des autres …
  • Denison Joyasooria : Les problèmes sont similaires partout, ce processus est intéressant et éclairant. On sous-estime toujours ce qui existe autour de soi.
  • Eric Andrieu : Le contexte est plus que jamais favorable avec la crise. La pensée dominante est en panne et redonne son sens à l’engagement politique. Un conseil des sages, avec arbre à palabres existe à Villerouge-Terménès car les questions se posent à tous, anciens, jeunes… La CE travaille à un pacte de cohésion territoriale pour 2013. Le livre vert est en cours d’écriture pour l’avenir du monde rural. C’est essentiel d’y entrer, avec ces approches, pour ne pas être dans le technocratique. C’est à mettre à l’agenda de l’atelier 7.
  • Ben Quiñones : L’Europe intervient dans d’autres régions du monde. L’Asie pourrait être partenaire dans un projet global. Sur un programme concret. Il est très content, car il a compris l’approche territoriale. Il disait, le mois dernier, lors de la rencontre à 10 pays d’Asie : « pourquoi vous ne redécouvrez pas votre héritage ? Quand on raconte une histoire, on peut concrètement expliquer ».
  • Alain Laurent : Merci à Eric. La question qui se pose, à partir de cette expérience, c’est le passage du modèle réduit au mainstream ?
  • Ben Quiñones : Ce qui circule, c’est l’inspiration. Ensuite, il faut rassembler toutes les histoires et montrer au monde que c’est une alternative. C’est la force de raconter une histoire !
  • Eric Andrieu : On ne peut pas modéliser, mais indiquer quels sont les ingrédients. Ils sont à disposition pour le monde entier, pour que les acteurs prennent leur avenir en mains, en particulier les autorités locales. Le préalable c’est le pourquoi on fait ensemble. Puis viennent les croyances, les méthodes, les moyens…
  • Ben Quiñones : Ce que la Banque mondiale exporte c’est un concept – un projet. Aucun sens historique, c’est technologie et monnaie ! Les populations ne sont pas concernées, pas mises au centre.
  • Eric Andrieu : Le temps (la durée), la réalité culturelle dans la vie des gens, les systèmes sont différents partout …Il faut aussi une bonne sociologie des rapports de pouvoir pour agir.

Questions clés ; pistes d’actions ?

Ben Quiñones (en Asie et en général) : La question qui se pose, à partir de cette expérience, c’est le passage du prototype au mainstream

On aurait besoin d’une réflexion internationale non académique entre acteurs différents les uns des autres … sur les approches territoriales, les outils, les méthodes « apprenantes », les essaimages possibles, la place de l’histoire, la formation. Ce que la Banque mondiale exporte vers l’Asie et en général, c’est un concept sans aucun sens historique, c’est technologie et monnaie ! Les populations ne sont pas concernées, pas mises au centre. Il comprend le langage, la terminologie. En Asie, on parlerait d’approche intégrée. Comment faire pour que des histoires comme celles-ci puissent émerger à Lux’09 ? Il faut en discuter à l’atelier 7 car tout le monde serait en lien, d’une façon ou d’une autre, avec un tel exemple. Avec une variété d’approche, quelles pourraient être les conclusions de « ce voyage apprenant » ? Cette expérience est un espoir pour chaque village et un espoir de nouvelles synergies pour le Forum de novembre 2009 au Japon.

Eric Andrieu (en Europe et en général) : Le contexte est plus que jamais favorable avec la crise. La pensée dominante est en panne et redonne son sens à l’engagement politique. La Commission Européenne travaille à un pacte de cohésion territoriale pour 2013. C’est essentiel d’y entrer, avec des approches concrètes, pour ne pas être dans le technocratique.

2 – Accueil au Conseil général de l’Aude

Le 21 avril 2009 après-midi au Conseil général de l’Aude, autour de la marque Pays cathare avec Valérie Dumontet (au cabinet du président du CG11) et Yvonne Vidou (chargée des politiques européennes et de coopération).

Valérie Dumontet introduit les échanges par une reconstitution historique des 25 ans de la mise en place de la démarche « Pays cathare » territoriale, économique et touristique. Quel développement, avec les forces vives du territoire, pas dans une voie protectionniste, mais ouverte sur le monde ? Ce qui a constitué « le plus », c’est la conviction qu’une démarche de projet collectif pouvait être un projet politique. La fédération autour d’une idée est devenue motrice. Et les crédits européens ont permis d’entraîner la dynamique de réalisation.

Quelques chiffres aujourd’hui :
- 17 châteaux et abbayes ;
- 3 millions de visiteurs par an ;
- 1000 entreprises « marquées » ;
- 5 territoires de projet (les Pays) support territorial de développement et d’une politique publique départementale calée sur ce dispositif.

Une nouvelle étape.
Le Pays cathare a donné lieu à l’écriture d’un projet qui a pris place dans la négociation du contrat de projet Etat / Région, avec l’aval de Marcel Rainaud, président du CG de l’Aude. Ce projet engage une nouvelle étape économique, avec des moyens pour aller plus loin. Bien des élus et des partenaires se sont rendu compte de l’avance que constituait ce programme dans l’articulation local/global. Tous les obstacles ne sont pas résolus pour autant. La situation correspond à un compromis acceptable, avec une dimension évolutive (2010).

Échanges :

  • Alain Laurent formule le souhait d’une analyse systémique de cette réalisation territoriale. Où est le progrès dans le comment ? Les personnes présentes ici sont des disséminateurs. Ils ont besoin de support : pratiques, acteurs, ingrédients, valeur ajoutée pour chacun. Dans son cas, il est en relation avec un ministre du Burkina Faso, représenté ici par Patricia Tamini, intéressée par cette démarche.
  • Yvonne Vidou : La marque Pays cathare est plus qu’une marque commerciale, c’est quasiment un label qualité et c’est surtout une marque territoriale. Cette marque transversale concerne un large éventail de produits agro-alimentaires, touristique et culturels ; qui va du produit de niche (l’asperge) au produit semi-industriel (l’eau d’Alet ou le lait).
  • Valérie Dumontet évoque Sud de France : cette marque, créée en 2004 par la Région a modifié l’échiquier régional. Si les 2 démarches ne sont pas antinomiques, il a fallu trouver des voies d’articulation et mise en synergie.
  • Une étude demandée à un consultant, en septembre 2008 a permis un diagnostic lucide et une remise à plat des enjeux qui a permis de faire évoluer la gestion et l’animation de la marque territoriale. Elle a mis l’accent sur l’identification des marchés, et la nécessité d’un nouveau pilotage de la marque pour aller vers une intégration progressive des nombreux (trop) cahiers des charges produits, vers 5 ou 6 filières (en regroupant dans un même cahier des Charges l’amont et l’aval, par exemple : la viande du producteur au charcutier). Le rôle et les fonctions des animateurs qualité seront aussi refondés. Peut-être en prenant en charge l’ensemble d’une filière, en dépassant les champs d’actions des chambres consulaires. Les autres axes de l’étude portaient sur le développement commercial et le développement international.
  • Denison Jayasooria trouve le processus trop bureaucratique pour le producteur et pas assez participatif.
  • Valérie Dumontet explique la formation, l’animation de tous les candidats à la marque. C’est une démarche quasi-militante qui permet d’obtenir une promotion mutuelle des produits et prestations (chaque prestataire peut être le prescripteur de son collègue). Il est vrai que l’évolution des marqués est perceptible : plus « consommateurs » moins impliqués, à leur propre service… Mais après une phase « bureaucratique », organisationnelle, les préconisations sont de revenir aux hommes, et de reconquérir le processus participatif qui est un des fondements de la démarche
  • Alain Laurent : Les Agendas 21 ont marqué des progrès sensibles de ce point de vue. TER_RES vise à promouvoir cette façon de faire, comme valeur ajoutée du « faire ensemble ». Ensuite quel référentiel pour des déclinaisons techniques ?
  • Yvonne Vidou présente les différents aspects du programme Pays cathare puis l’état d’avancement de la marque territoriale européenne.