études de cas
Oaxaca est une belle ville coloniale située dans une vallée de la sierra Madre del Sur appelée Huaxyacá par les Aztèques, ce qui signifie « près du lieu des acacias ». Elle est située dans l’État mexicain du même nom, à l’ouest de celui du Chiapas. C’est l’une des régions les plus pauvres du Mexique et pourtant l’une des plus riches en ressources naturelles. Les longues chaînes montagneuses qui bordent le paysage offrent un spectacle des plus majestueux aux producteurs de commerce équitable qui arrivent de différents pays d’Amérique latine. Les membres de la Coordination latinoaméricaine et caribéenne des petits producteurs du commerce équitable (CLAC) s’apprêtent à tenir à Oaxaca une réunion clé pour l’avenir de leur organisation.
La journée du 11 août 2004 commence tôt pour les participants à la réunion. Une centaine de représentants des petits producteurs de seize pays sont présents. Leur agenda, réparti sur trois jours, est chargé. À leur arrivée, les participants prennent un petit-déjeuner local, qui inclut des tamales (une sorte de pâte de maïs enveloppée dans des feuilles de bananier et cuite à la vapeur) et du chocolat chaud. Après l’inscription, ils s’installent dans la salle. Chaque producteur dispose d’un carton rouge qu’il doit montrer pour faire valoir son vote. La première discussion portera sur un projet important : la constitution formelle de leur organisation.
Bien que la CLAC existe déjà en tant que plate-forme de discussion des enjeux liés au commerce équitable, ce n’est qu’à l’occasion de cette rencontre qu’elle sera créée formellement. Les règlements sont préparés par les membres de la Coordination latino-américaine des petits producteurs de café (CLA) et du Réseau latino-américain de petits producteurs de miel, deux organisations créées en 1996. Les deux coordinations ont décidé de créer un vaste réseau pour inclure d’autres producteurs (de bananes, de cacao, de fruits, de sucre, de quinoa, de thé, etc.).
Une fois la nouvelle constitution adoptée, les participants se penchent sur plusieurs enjeux tels que l’importance de leur implication directe dans le système du commerce équitable et au sein de ses instances, tout spécialement FLO. Ils définissent une position commune afin de mieux représenter leurs intérêts. Ce processus d’articulation régionale permet d’augmenter significativement leur présence, leur influence et leur visibilité sur la scène internationale du commerce équitable. En discutant, les producteurs s’accordent sur le fait que le système du commerce équitable est devenu trop abstrait et impersonnel. Ils n’arrivent plus à se retrouver comme partenaires à part entière des acteurs du Nord et ont l’impression qu’ils n’ont aucun contrôle sur les processus de prise de décision. Car la complexification croissante et la réorganisation des institutions de certification altèrent les relations avec les producteurs. En effet, malgré la présence de quelques représentants des producteurs aux instances de FLO, les membres de la CLAC ont un sentiment d’exclusion, de manque de transparence et de déséquilibre des pouvoirs. Les discussions s’achèvent devant le plat du soir : une généreuse portion de sauterelles grillées, spécialité d’Oaxaca, pour les plus audacieux, ou du poulet au mole noir (une sauce épicée à base de cacao) pour les convives moins intrépides. Le lendemain, dernier jour de la rencontre, les participants traitent de sujets épineux comme le paiement des frais d’adhésion et d’inspection de FLO et la modification du prix équitable. FLO a en effet récemment décidé d’imposer des frais d’adhésion aux producteurs, ainsi que des frais de certification. Elle a aussi développé une méthodologie pour calculer les prix équitables sans tenir compte des coûts réels de production, allant même jusqu’à proposer de diminuer le prix payé aux producteurs. Ces décisions ont été prises sans consulter les producteurs. Les membres de la CLAC souhaitent présenter un front commun pour contester de telles décisions et faire valoir l’intérêt mais aussi la légitimité des producteurs à participer au processus décisionnel. Cette fois, les discussions se terminent par un spectacle de danse traditionnelle de la région. Huit femmes vêtues de leur costume typique et coiffées de longues tresses présentent la Danza de la flor de la piña.
Cette danse est une célébration de la récolte de l’ananas et, dans le cadre de la réunion de la CLAC, celle d’une nouvelle étape qui pourrait redéfinir la trajectoire du commerce équitable. À la suite de cette réunion, les membres de la CLAC comptent bien investir les rangs de FLO et décident du même coup de mettre en place leur propre système régional de certification. C’est dans cet esprit qu’ils préparent leur participation au deuxième Forum international Tourisme solidaire, commerce équitable et développement durable (FITS), où ils comptent revendiquer une place spécifique dans le système équitable. Les producteurs remettent en effet de plus en plus en cause leur assujettissement à des normes imposées par le Nord, et sur lesquelles ils n’ont pas de contrôle. La CLAC a beaucoup d’attentes concernant cet événement.
Non seulement le FITS est censé faciliter l’échange, stimuler la réflexion et proposer des actions concrètes concernant le tourisme solidaire et le commerce équitable,mais il s’agit d’une occasion unique de regrouper les acteurs du Nord et du Sud dans un contexte particulier. En effet, l’ambiance plus décontractée qui prévaut dans le cadre du FITS semble offrir une meilleure occasion pour les membres de la CLAC de faire valoir leur point de vue. Ils ne sont pas contraints par des procédures de prise de décision ou de participation précises. Par ailleurs, la presse est présente, et l’opinion publique internationale très attentive à cet événement teinté d’une certaine couleur politique par la présence du gouverneur du Chiapas, du ministre français du Tourisme et des secrétaires d’État du gouvernement mexicain qui en assurent l’inauguration. Il est donc possible de profiter d’une grande diffusion médiatique. Dans la foulée de ces échanges se tiennent finalement des rencontres à huis clos entre la CLAC et FLO, alors que sera lancée en parallèle l’Initiative latino-américaine et caribéenne des petits producteurs de commerce équitable. Cette initiative vise à renforcer une conception du commerce équitable axée sur la participation des producteurs et le rapprochement par la solidarité entre les acteurs du Nord et du Sud. En résulte un nouvel emblème des petits producteurs membres.