études de cas
Quel est l’objectif principal de votre activité économique ?
JAS. En premier lieu, faire vivre ma famille. Deuxièmement, aller au-delà de la famille pour construire la coopérative. Je pense qu’une famille productive comme la mienne est un modèle d’économie en construction. Nous possedons une ferme de 33 hectares, dans laquelle nous réalisons les activités suivantes : élevage de petits animaux ; production agro-florestale comprennant plus de quarante types de plantes ; production de riz, fèves et maïs ; et un périmètre de réserve où nous produisons du miel, tout en contribuant à la protection d’une espèce d’abeille. Nous avons cessé d’utiliser les méthodes de brûlemement et de cultures traditionnelles. Nous sommes entrain d’étudier la possibilité d’utiliser une partie du terrain pour commencer l’élevage de chèvres et de moutons ; une autre pour cultiver du cajou. Notre idée est de profiter au maximum en utilisant un minimum d’espace. La famille se partage les tâches, ma femme administre, chacun travaille selon ses possibilités. Le projet d’élevage familial de bétail est collectif : nous travaillons pour construire la coopérative, la communauté COOPEVIDA. La coopérative compte 51 membres de 14 familles. Maintenant, nous sommes entrain d’échanger de l’huile de noix de coco contre de la pâte de fruit de buriti, produites par huit familles. Tout l’excédent de notre production, comme le miel et la pulpe de fruit, est destiné à la coopérative. La proposition de base que nous avons soumise à l’agence catholique de projets CERIS consiste à acheter d’autres produits. La CCAMA (Centrale de Coopératives Agro-extractrices du Maranhão) est entrain de créer une marque pour les produits de ses filiales : AGROVIDA. Le miel est vendu sans contrôle de prix, nous suivons les prix du marché.
Pratiquez-vous une économie différente ? En quoi se différencie-t-elle de l’économie dominante ?
JAS. Oui. Le fait de commencer à partir de la famille fait toute la différence. La livraison des produits à la coopérative crée l’expectative du paiement après la vente. La coopérative va au-delà de la question économique. C´est une unité de familles coopératives. Mon travail avec la famille est le résultat de la dynamique de la coopérative. L’on ressent un besoin plus grand de discuter les avantages coopératifs – les avantages de la production coopérative. Nous désirons connaître d’autres expériences et en apprendre plus grâce à elles. Un autre groupe est né à partir du premier, un groupe de 15 familles, dont 10 veulent former des groupes de production de base (GPB). Par conséquent, l’expérience se multiplie peu à peu. La coopérative est l’espace de discussion et de progrès pour les familles. La fabrique que nous sommes entrain de créer sert à manufacturer ce qui reste de la commercialisation de la noix de cajou. On sacrifie quelques centimes mais le gain est plus grand après ! La coopérative est un facteur de progrès pour les familles. L’excédent est destiné à la coopérative, c´est le gain de tous. Cette façon de faire développe la vision de bien commun, le sentiment de communauté. C´est ce que nous voulons pour la société entière.
D’après vous, qu’est-ce que l’abondance ? L’abondance matérielle est-elle un but ou un moyen d’atteindre quelque-chose de plus ? Qu’est-ce qu’est ce plus ?
JAS. C´est la satisfaction des besoins de l’être humain au sein d’une vision d’intégralité. Le capitalisme engendre l’appât du gain, la concentration des richesses. L’accumulation est comme une maladie, une compulsion. L’abondance est un moyen par lequel on atteint quelque-chose de plus. La satisfaction matérielle est insuffisante. L’abondance doit exister pour tout le monde. L’être humain aspire toujours à quelque-chose de plus grand.
Quelles sont les VALEURS que vous et vos compagnons pratiquez dans votre vie et dans votre travail de chaque jour ? D’après vous, est-il possible que ces valeurs prédominent un jour dans l’ensemble de la société ? Comment peut-on les généraliser ?
JAS. Harmonie au sein de la famille. Décentralisation. Prise de pouvoir de l’individu an sein de la famille. Transmission et échange d’expérience. Gestion collective. Je pense que l’on doit travailler ces valeurs chaque jour, et qu’un jour elles pourront prédominer au sein de la société. Il faut considérer la famille comme unité multiplicatrice, qui aide peu à peu plus de gens et de familles à assimiler ces valeurs.
Quelles innovations avez-vous développées sous la forme d’organisation, de gestion et d’appropriation des fruits du travail ?
JAS/ Le fait que ce soit une femme qui administre notre entreprise familiale est une innovation. Les enfants qui se répartissent le travail de façon équitable et solidaire est aussi une innovation. La famille entière qui participe aux réunions et aux assemblées de coopérative, des travaux communautaires, également. Ainsi que la coopérative qui divulgue une “culture sans feu”, qui persuade les paysans qu’il existe de meilleures façons de travailler la terre que de la brûler, est aussi une innovation. Le travail est le collectif de la production jusqu’à l’industrialisation de la pulpe de fruits. Neuf familles vendent tout l’excédent à la coopérative. Il y en a également quelques-unes qui ne livrent la pulpe que si l’on paie comptant. L’esprit coopératif s´implante peu à peu, en se mélangeant encore aux pressions dues à l’urgence de la survie coûte que coûte. C´est lorsque la confiance s´installe que l’on réussit vraiment à innover. En termes d’organisation, nous commençons par suivre des cours de trois ans pour nous former dans le domaine du coopérativisme et de l’auto-gestion. Nous innovons en mettant au centre les familles des paysans ; premièrement, le défi principal est qu’elles ne dépendent plus des intermédiaires ; deuxièmement, qu’elles développent leur plan et leur propre comptabilité. À partir de ces familles, nous formons les GPB – Groupes de Production de Base - composés de trois à quinze familles, selon les aptitudes. Il existe déjà 85 GPB dans la région ; la perspective est de les regrouper en coopératives municipales. Nous innovons également dans la façon de nous occuper de la nature, des agriculteurs, qui refusent d’utiliser un tracteur, des machines et le feu. Nous innovons encore en montrant que le Cerrado est un éco-système qui possède un cycle propre ; nous sommes plus productifs si nous respectons cet éco-système. C´est pour cela que nous avons choisi les cultures permanentes pour pouvoir commercialiser la production, en commençant par les fruits typiques du Cerrado. Nous voulons aussi innover en éliminant la manie de toujours remettre aux autres la solution de nos problèmes. Les ressources extérieures sont importantes, mais les ressources intérieures sont décisives. Et nous voulons innover en créant des intellectuels différents de ceux que nous créons aujourd’hui : ils s´en vont, obtiennent leur diplôme et ne reviennent plus. Nous avons besoin qu’ils reviennent, ou mieux encore, qu’ils fassent leurs études ici même.
Considérez-vous qu’il est important de travailler dans un réseau de solidarité ou dans des chaînes productives solidaires ? En quoi consistent-elles, d’après vous ?
JAS/ J´ai besoin d’en savoir plus sur les chaînes productives et les réseaux. Les coopératives doivent dépasser leurs petits egos. Elles doivent travailler dur là-dessus. Ce n´est pas impossible. En plus de la CCAMA, nous avons la Foire du Cerrado, qui est annuelle et a lieu à Goiânia depuis 2001. Elle comprend des syndicats ruraux, des associations d’agriculteurs, des coopératives, et autres. Le Centru fait partie du Conseil de Gestion de cette Foire. Mais il y a encore beaucoup à faire pour avancer.
Votre activité a-t-elle de l’influence sur la vie de la communauté ? Comment, et dans quelles sphères ?
JAS/ Nos activités qui influencent le plus la communauté sont la culture des fruits permanents et l’exploitation des ressources du Cerrado. J´ai mis du temps avant de ramener les premiers plants à la maison et planter. La transformation de ma famille a eu lieu à partir du débat coopératif. À la Nouvelle Découverte, il y a 15 familles, c´est déjà un grand progrès.
D’après votre expérience, qu’est-ce que le travail ? Quelle valeur et quelle signification a-t-il dans votre vie ?
JAS/ Echanger avec les autres, faire un rapport, participer à un séminaire, aussi bien que planter, cueillir, représenter la coopérative, tout cela représente du travail et est productif. Avant, travailler voulait seulement dire empoigner sa pioche. La société libérée change la façon de travailler. Je n´ai pas eu de loisir dans ma jeunesse. J´ai été à ma première fête à l’âge de 20 ans. Aujourd’hui je vais aux fêtes pour parler, pour travailler. Je veux le contraire pour ma famille, je veux qu’elle aille aux fêtes pour se reposer et s´amuser.
Quel est le rôle de la FEMME au sein d’une initiative économique caractérisée par la coopération et la solidarité ?
JAS/ La question n´est pas le sexe, mais la capacité. La plupart des membres des coopératives sont des femmes. La Femme a plus de capacité que l’homme. En tant que président de la Coopevida, je me suis retiré au milieu du chemin – j´étais plus un éducateur qu’un administrateur. Sonia a plus d’autorité, elle est plus politique, plus gérante. J´ai appris à être humble comme elle. Et j´ai beaucoup appris avec Manoel da Conceição. Un projet individuel au sein de la collectivité rend difficile le fait de renoncer au pouvoir. Je n´ai plus l’illusion que je sais tout. Je ne vais jamais occuper l’espace d’un autre – homme ou femme - qui peut mieux répondre que moi aux besoins du collectif. J´ai découvert que les différences sont positives lorsqu’on les considère complémentaires.
Comment les politiques publiques et l’Etat peuvent-ils contribuer au progrès d’une Socio-Economie Solidaire ?
JAS/ L’Etat est un espace qui doit être travaillé, perçu en tant que tel. On a découvert le gouvernement comme si c´était une marchandise. En fait, sa capacité de renforcer ou d’affaiblir l’ Économie Solidaire dépend de ceux qui l’administrent. Le grand risque est de gagner la Préfecture et d’administrer “pour toujours” le système qui existe déjà. Devenir gouvernement en lâchant la base montre que nous ne sommes pas préparés à gouverner autrement.
XI. Croyez-vous que la mondialisation de la coopération et de la solidarité est possible ? Comment faire pour qu’elle devienne vraie ?
JAS/ Après tant d’expériences que vous avez apporté au séminaire, le rêve devient plus réel ! Avant, il n’y avait rien au-delà de la petite propriété de mon père. Quand j’étais adolescent et j’ai du la quitter à pied, j’ai eu l’impression que j’allais vers la fin du monde. Ce n’est qu’à partir de 1988 que je suis devenu citoyen. Avant, j’étais isolé. Maintenant je réussi à regarder et à voir beaucoup plus loin. Et je vois qu’un monde coopératif et solidaire est possible. Comment le construire ? En consolidant les pratiques, à partir de l’unité familialle, du coopérativisme de la campagne et de la ville, en échangeant des expériences, en construisant des réseaux, en construisant le tout.