études de cas
1- Quel est le but principal de votre activité économique ?
Le but principal est la promotion des femmes et des marginalisés de Tamil Nadu en général, afin qu’ils deviennent les sujets d’activités socio-économiques, tout en surmontant leur dépendance, subordination et humiliation séculaires. Dans le contexte du Collectif des Femmes, ils réalisent plusieurs activités : l’élevage du bétail laitier, des poules, la fabrication de denrées comestibles, le commerce de tissus, le tissage du coton, la fabrication de savons aux herbes, les conserves de fruits (mangues, tamarinds), la production de confitures et de conserves au vinaigre, la conduite des rickshaws, les établis de réparations de cycles, la fabrication d’armoires en acier, la culture organique, le compost organique, le spray de compost. 60% des fermiers du Tamil Nadu ne possèdent pas de terre. 1% seulement de la terre appartient à des femmes, et 1% à des dalits, ou intouchables.
Le Collectif se concentre sur les dalits, les femmes et les pêcheurs. Une sécheresse de trois ans a provoqué l’abaissement du niveau de la nappe fréatique, entraînant une augmentation de la faim et de la souffrance dans la région. Un objectif plus matériel est donc de créer des activités durables qui garantissent au moins deux repas par jour, sans que les gens aient besoin de recourir à des prêts.
II. Êtes-vous engagés dans une économie DIFFÉRENTE ? En quoi se différencie-t-elle de l’économie dominante ?
Certainement. En plus de la production et la manufacture, les gens s’occupent également d’épargnes auto-gérées et d’un système de gérance de crédit, basé sur 10 à 20 groupes auto-gérés sur tout le territoire de Tamil Nadu. Le Collectif est présent dans vingt districts et couvre un total de 1540 villages ; la plupart de ses participants sont des femmes. Elles s’organisent en groupes d’aide mutuelle, village par village. Leur économie est une économie orientée vers les besoins des gens, et se caractérise par des rapports de pouvoir horizontaux ; la construction de son propre pouvoir est un défi pour chacun des membres du Collectif. L’une des approches économiques les plus innovatrices du développement d’un village est notre méthodologie d’initiation. La base de cette méthodologie consiste en l’apprentissage participatif. Nous commençons par faire une carte du village, nous identifions les pauvres, leurs besoins et leurs ressources, ceux qui contractent des prêts auprès des usuriers. Nous arrivons graduellement à montrer ce qui se passe quand l’argent reste au village, au lieu d’être englouti dans le syphon des intérêts de la dette.
III. Qu’est-ce que le mot ABONDANCE veut dire pour vous ? Est-ce que l’abondance matérielle est un but, ou bien un moyen d’atteindre quelque-chose d’autre ? Et que serait cette autre chose ?
L’abondance, c’est quand les familles ont assez pour elles et qu’il reste un surplus à stocker. Nous ne concevons pas l’abondance matérielle en tant que but en soit. Nous n’avons pas besoin de trop ; nous avons besoin de suffisance matérielle pour unir les gens et pour qu’ils affrontent ensemble des problèmes communs. Une télévision communautaire est suffisante, il n’est pas nécessaire d’avoir une télévision dans chaque foyer. Par-contre, une maison décente pour chaque famille, ça, c’est crucial. Une garantie d’emploi, trois repas par jour, un environnement sûr, etc.
IV. Quelles sont les VALEURS que vous et vos camarades mettez en pratique dans votre vie quotidienne et dans votre travail ? D’après vous, est-il possible que ces valeurs prédominent un jour dans la société comme un tout ? Comment les divulguer ? Les valeurs principales sont déjà présentes, elles font partie de la culture indienne. Mais la longue exposition aux pouvoirs occidentaux coloniaux et impériaux ont provoqué bien des changements, et, dans bien des cas, les gens ont été aliénés de leurs racines culturelles. L’idée-clé est de construire un pouvoir politique et cultural au sein des marginaux, surtout des femmes. La construction de son propre pouvoir en tant que processus est donc crucial et l’éducation visant la construction de son propre pouvoir forme le noyau de l’effort du Collectif.
V. Quelles innovations avez-vous développées en termes de l’organisation, de l’administration et de l’appropriation des fruits du travail ?
Les groupes d’aide mutuelle qui contrôlent leur propre argent ainsi que leurs transactions financiers sont l’innovation-clé. Le système d’auto-administration financière fonctionne de telle façon que, lorsque la sécheresse sévit, les emprunteurs ne paient pas d’intérêts, mais seulement le principal. Les groupes servent de base pour les activités du village, y compris la production agricole. Une autre innovation est l’introduction de l’agriculture organique, au nom de la sécurité et de la souveraineté alimentaire. L’idée est que les familles controlent la production et la distribution de leurs propres aliments, et pas n’importe quels aliments, des aliments sains. Ils organisent la conservation des semences qu’ils échangent ensuite entre eux. Collecter l’eau de pluie sur les toits pour la boire et pour irriguer les plantations requiert de nouvelles structures, comme des réservoirs plus profonds, et la protection contre l’évaporation. La devise est “qu’aucune goutte de pluie ne soit gaspillée sur le sol”. Nous avons également introduit des systèmes pour protéger la terre de l’érosion. D’autres pratiques visant l’indépendance et la durabilité comprennent la culture agro-forestière et d’autres moyens de protéger les ressources naturelles. Tout est administré collectivement, y compris les finances.
VI. Pensez-vous qu’il soit important de travailler au sein de réseaux de solidarité ou dans des chaînes de production solidaire ? Que représentent-elles, à votre avis ?
Nous nous consacrons au développement de chaînes productives, et la commercialisation est une activité-clé. Les producteurs de compost de vers de terre ont besoin de vendre leurs produits à des fermiers. Les pêcheurs doivent vendre leurs produits rapidement, sinon ils se gâtent. Les réseaux solidaires leur permettent de vendre leur marchandise et de compter sur des marchés durables. Nous pensons que le lien entre les populations rurales et urbaines est très important. Les épiceries s’approvisionnent en ville. Les coopératives locales fabriquent du sel, cassant ainsi les oligopoles des grandes entreprises. Les organisations urbaines de la société civile ont organisé des écoulements de marché dans les villes pour le Collectif, mais notre production est encore insuffisante pour répondre à cette nouvelle demande.
VII. Est-ce que votre activité a de l’influence sur la vie de la communauté ? Si oui, comment, et dans quelles sphères ?
Les commentaires précédents répondent de façon efficace à cette question.
VIII. D’après votre expérience, qu’est-ce que le travail ? Quelle est sa valeur et sa signification dans la vie ?
Le travail est doublement important pour les femmes, parce qu’elles travaillent déjà au sein du ménage et maintenant, elles travaillent également pour assurer la survie matérielle de leurs familles en exécutant des tâches productives. L’emploi fourni par le gouvernement pour les travailleurs sans terres est un soulagement, mais pas une solution durable. Nous leur apprenons qu’ils peuvent travailler avec d’autres technologies et prendre des initiatives de par eux-mêmes. L’économie des gens est une source d’occupation stable pour les femmes, qui étaient habituées à rester confinées chez elles, et qui sont maintenant actives au sein de l’économie de l’état de Tamil Nadu. Elles se sentent fières et leur statut s’est considérablement élevé auprès des hommes, auparavant dominants, qui les respectent beaucoup plus.
IX. Quel rôle les femmes jouent-elles au sein d’une initiative économique basée sur la coopération et la solidarité ?
Les femmes jouent un rôle important en construisant une économie centrée sur les gens. Les hommes avaient l’habitude de passer la moitié de leur temps en buvant, et seulement l’autre moitié avec leur famille. Les femmes garantissent des fonds de famille ainsi que du travail en plus pour subvenir à tous les besoins et désirs de leur famille. Les hommes sont souvent très endettés, et incapables d’administrer leurs finances. Les femmes sont douées pour cela, parce que ce sont elles qui administrent leur foyer.
X. Comment l’Etat et les politiques publiques peuvent-ils contribuer au progrès d’une Socio-économie Solidaire ?
Le Néo-libéralisme a apporté des machines pour augmenter la productivité et les profits des détenteurs de capitaux. Cela a nuit grandement aux femmes. Nous organisons des manifestations pour protester contre les machines, lorsque le gouvernement ou des enterprises locales les font entrer dans le pays ; les gens ont leurs propres façons de travailler qui sont très productives pour subvenir à leurs besoins. L’économie nationale devrait pouvoir fournir du travail stable pour tous. Les femmes s’engagent de plus en plus dans les mouvements politiques locaux. Elles occupent maintenant 33% des sièges à l’assemblée de l’état et du Parlement national.
XI. Croyez-vous que la globalisation de la coopération et de la solidarité soit possible ? Comment pourrait-on la réaliser ?
Je crois qu’un autre type de globalisation puisse exister, une globalisation qui bénéficie les gens, et pas seulement les capitalistes. Mais cela ne sera possible que si la coopération et la solidarité deviennent les formes principales de rapports parmi les gens. Ce sont des valeurs typiquement féminines. C’est pourquoi les femmes doivent jouer un rôle important dans la construction de la solidarité globalisée.
1. Nom de l’intervieweur : Marcos Arruda, PACS
2. Nom de la personne interviewée : SHEELU FRANCIS ; femme
3. Nom du type d’initiative socio-économique : Tamil Nadu Women’s Collective 4. Date et lieu de l’ interview : Glasgow, le 2 avril 2004.
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