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La mondialisation économique vue par la Marche mondiale des femmes et des groupes féministes.
La Marche mondiale des femmes (Lettre aux dirigeants du FMI et de la BM : 2000 bonnes raisons de changer de cap, octobre 2000), rejoignant les critiques féministes de la mondialisation, s’était employée à analyser comment ce processus était certes le résultat du système économique dominant – le capitalisme néolibéral – mais aussi comment il n’affectait pas les femmes de la même manière que les hommes (Wichterich, 1999). Et de démontrer les effets paradoxaux de la mondialisation : plus grande participation des femmes au marché de l’emploi mais augmentation des écarts entre une minorité de femmes dites « gagnantes » et une majorité de femmes « perdantes » (L’économie en question du point de vue des femmes, 2004). Et de démontrer comment les femmes sont de plus en plus cantonnées dans le travail précaire, atypique, flexible, à domicile, informel ; comment elles deviennent partout des « femmes de services », comment elles sont confinées dans des ghettos d’emplois et des secteurs traditionnellement féminins et sous-payés, comment leurs conditions de travail et de salaire n’ont pas encore atteint ceux des hommes. La crise économique actuelle ne fera qu’aggraver cette situation.
Des féministes ont proposé une analyse plus approfondie de la mondialisation : le phénomène ne pouvait se comprendre du seul point de vue de la critique du capitalisme néolibéral. Il fallait l’analyser également à partir du patriarcat entendu comme système autonome – politique, économique, social et culturel – d’oppression des femmes ; un système antérieur au capitalisme lui-même et caractérisé par :
L’assignation des femmes à des rôles, tâches, statuts spécifiques dans la société,
L’appropriation du corps, du sexe et du temps des femmes, de leur force productive et reproductive,
L’exclusion des femmes de la propriété, du pouvoir politique, du pouvoir économique, etc.
La discrimination dans la reconnaissance de leur travail et de leur existence, dans l’accès et l’usage des ressources.
Poursuivant encore plus loin l’analyse, de nombreux groupes féministes se sont appliqués à montrer l’imbrication des discriminations de « classe », de « genre » et de « race » qui caractérisent le système économique qualifié trop étroitement de capitalisme néolibéral. Les femmes du Sud, les femmes autochtones, les femmes Noires, les femmes arabes, etc. vivent des discriminations spécifiques dans le système actuel en tant que travailleuses exploitées – sous-payées ou non rémunérées – dans leur pays ou territoires, en tant que migrantes ou immigrantes, en tant que victimes de toutes sortes de violences institutionnelles. Le capitalisme tire profit du racisme et du patriarcat et vice-versa. La féminisation de la pauvreté, de la maladie, et en particulier des migrations, en constitue un exemple. Ces migrations légales et illégales des femmes constituent aujourd’hui la moitié des migrations totales. Chaque année par exemple, des milliers d’aides domestiques et des milliers d’entraîneuses de bar émigrent vers des pays du Nord ou de l’Ouest pour travailler dans des conditions qui se rapprochent bien souvent de l’esclavage. La traite et le trafic de femmes et de filles à des fins d’exploitation sexuelle sont en croissance partout dans le monde.
Enfin, les éco-féministes ont appelé à critiquer le système économique du point de vue de son impact sur l’environnement, sur les relations sociales, et sur l’avenir de la planète : productivisme boulimique, addiction pathologique à la consommation, individualisme à courte vue basé sur le « tout avoir, tout de suite et tout le temps », culture de guerre et donc dépendance envers l’industrie militaire, esprit de compétition et cupidité qui mènent à une concentration de la richesse à la limite du supportable et à des mutations dangereuses de la nature elle-même (changements climatiques, pollution de l’eau, de l’air, de la terre, etc.).
L’opération « sauvetage » du système actuel : un cul-de-sac ?
Les plans de sauvetage de l’économie doivent également être dans notre mire. On le sait : les dirigeants du G20 se sont beaucoup agités pour répondre à l’urgence de cette crise en proposant des mesures immédiates et de court terme telles qu’un resserrement des contrôles sur la spéculation aux niveaux national et international, des investissements dans les infrastructures, des exigences de transparence, etc. Mais le préambule à leurs travaux annonce surtout que tout va changer pour ne rien changer en profondeur.
En fait, les dirigeants des pays du G20 proposent des corrections aux dérives du système – ce qui n’est pas négligeable, surtout du point de vue des populations vulnérables – mais qui ne constitue en rien une remise en cause de ce qui est au coeur de la crise économique : les finalités et le fonctionnement du système lui-même. Une fois la tempête passée, les choses reviendront à la normale ! Rien en effet sur la démocratisation des secteurs financiers, sur l’élimination des paradis fiscaux et de l’évasion fiscale en général, sur la refonte des institutions financières internationales (OMC, FMI, BM, etc.) des bourses, de l’accès au crédit, de l’appropriation individuelle ou corporatiste des ressources naturelles, sur la mise en cause des politiques inégalitaires, sur l’encouragement à la consommation et à l’endettement, sur le productivisme qui met la planète en péril, etc
Les dirigeants mondiaux ignorent totalement l’existence du sexisme et du racisme comme causes structurelles de la crise économique, donc il faut questionner leurs plans de sauvetage :
Comment affectent-ils les femmes de manière spécifique ?
Quelles mesures sont destinées aux femmes ? Par exemple : l’équité salariale estelle partie prenante de ces plans ? Met-on un stop à la privatisation des services de santé et d’éducation ?
Quand les gouvernements parlent d’investir dans les infrastructures, de quoi parlent-ils ? Des ponts, des routes …mais qu’en est-il des biens et services qui répondent aux besoins fondamentaux des individus et collectivités (garderies, centres de femmes, groupes de défense de droits, coopératives agricoles, etc.).
Sur quels principes et quelles valeurs refonder l’économie ?
La Charte mondiale des femmes pour l’humanité propose de construire un autre monde fondé sur les valeurs d’égalité, de liberté, de solidarité, de justice et de paix.
Chacune de ces valeurs implique l’émergence d’une « autre » économie basée sur les principes suivants :
La primauté du politique sur l’économisme ; donner priorité au « vivre ensemble », au souci pour l’intérêt général, le bien commun, les biens publics en tant que patrimoine commun de l’humanité à partager équitablement (ressources naturelles, eau, air, etc.) ;
La démocratie comme fin et comme moyen de transformation de l’économie. L’économie demeure un immense chantier à démocratiser ;
Une conception résolument solidaire de l’économie en opposition à l’économie machiste et guerrière dominante qui produit un très petit nombre de gagnants et une grande masse de perdantes et perdants. Une économie nouvelle socialise les gains de productivité au lieu de les privatiser ;
L’égalité de droit et de fait entre les femmes et les hommes et une transformation des rapports sociaux qui implique entre autres :
une remise en cause de la hiérarchisation sociale et, par le fait même, une remise en cause des privilèges individuels et collectifs associés à cette hiérarchie ;
un engagement de la part des divers acteurs sociaux à réclamer le respect des droits des femmes ;
La reconnaissance du travail invisible de reproduction sociale assumé très majoritairement par les femmes et encore ignoré dans la comptabilité de la richesse ;
Les droits, en particuliers les droits économiques, sociaux et culturels qui concernent toutes les sécurités souhaitées (alimentaire, énergétique, de santé, d’éducation, de logement, etc.) ;
Le respect de l’environnement et la remise en question de la croissance économique à tout prix (productivisme destructeur des rapports sociaux et de l’environnement).
Des exemples de mesures immédiates à prendre :
Investissements gouvernementaux dans tous les types d’infrastructures (de « béton » et sociales) hors de partenariats privés-publics (PPP) ;
Refondation d’une politique industrielle axée sur les projets innovants, écologiques et riches en emplois des petites et moyennes entreprises et industries avec droit de regard de l’État sur la stratégie de relance industrielle (Le Monde, 21 janvier 2009) ;
Mesures de facilitation de l’accès au crédit ;
Mesures de protection, de création et de formation en emploi ;
Mesures de protection des plus vulnérables dans toutes les sociétés (assurance-chômage, sécurité du revenu, etc.) dont les femmes, en particulier les femmes pauvres, monoparentales, âgées, Noires, autochtones, etc ;
Mesures de partage des gains de productivité en faveur des salaires, contre le chômage mondial et pour le travail décent protégé par les normes du Bureau international du travail (BIT) ( http://ituccsi. org/spip.php ?article2703&lang=fr) ;
Mesures pour instaurer l’égalité et l’équité salariales entre les hommes et les femmes ;
Promotion de l’économie locale dont l’économie sociale ;
Reconnaissance et émergence, dans la sphère publique formelle, du travail « invisible » des femmes. Entre autres, la reconnaissance des savoirs traditionnels et des savoirs d’expérience acquis à l’extérieur de la sphère économique « dominante ». Ces savoirs contribuent au bien-être des personnes et des collectivités. Il est fondamental de les valoriser et de leur reconnaître une « rentabilité sociale » autant qu’une « rentabilité économique » ( http://ituc-csi. org/spip.php ?article2703&lang=fr) ;
Partage équitable entre les femmes et les hommes du temps alloué au travail domestique et à l’éducation des enfants dans la sphère privée.
Article trouvé sur http://www.millebabords.org/spip.php?article11185