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La chaire d’économie sociale et solidaire de l’UPEMLV et le laboratoire d’économie Erudite (Paris Est) organiseront les 33e Journées de l’Association d’Economie sociale sur le thème : "Les nouvelles frontières de l’économie sociale et solidaire", les 12 et 13 septembre 2013 à l’université paris Est Marne-la-Vallée. Le délai pour l’envoi des propositions est le 19 novembre 2012.Depuis ses origines situées au XIXe siècle, ce que nous appelons aujourd’hui et depuis peu « l’économie sociale et solidaire » (ESS) a toujours été le lieu de frontières, externes mais aussi internes. Ses frontières internes ont désigné ses diverses composantes alors que ses frontières externes l’ont séparé de l’économie capitaliste et libérale dont elle veut se distinguer. Les premières reflètent sa diversité, les secondes tracent ses spécificités communes. Elles sont donc largement interdépendantes.
Les frontières de l’économie sociale et solidaire se repèrent aussi à deux autres niveaux qui entretiennent des rapports plus lâches. Elles se lisent au niveau de ses pratiques, et de ses acteurs, et au niveau de ses théories. Prenons un exemple pour chacun d’eux. Charles Gide, au début du XXe siècle, distingue, pour le premier niveau, trois acteurs à partir de leurs modes d’actions : l’auto-organisation des associations libres, l’aide désintéressée du patronage d’initiatives privées et les aides publiques des administrations. À la même époque, on assemble et on distingue, au second niveau, quatre écoles de l’économie sociale : l’école socialiste, l’école sociale-chrétienne, l’école libérale et l’école solidariste. Comme ce rappel historique le suggère, les frontières de l’économie sociale et solidaire ont été depuis son origine mobiles. Elles ont toujours fait l’objet d’évolutions et de débats.
Aujourd’hui, dans le monde francophone, s’affirme une nouvelle dénomination, l’économie sociale et solidaire, faisant suite aux années 1980 et 1990 qui virent s’opposer partisans de l’économie sociale et partisans de l’économie solidaire. Cette dénomination « unitaire » se diffuse depuis une dizaine d’années sur trois registres : celui des organisations professionnelles dont la moitié des chambres régionales s’intitulent avec deux « s » en se désignant comme chambre régionale de l’économie sociale et solidaire ; celui des collectivités territoriales avec notamment l’échelon régional qui a été pionnier dans le développement de politique dédiée à l’économie sociale et solidaire ; celui, enfin, des mondes savants avec notamment la création en 2001 du réseau interuniversitaires de l’économie sociale et solidaire. Aussi, après dix ans de gestation, l’économie sociale et solidaire dessine-t-elle de nouvelles frontières qui suscitent analyses, débats, controverses et renouveaux.
L’objectif des XXXIIIes Journées de l’Association d’économie sociale (AÉS) est de réunir un vaste ensemble de contributions consacrées à l’économie sociale et solidaire, prenant en compte ses nombreuses dimensions, ses différents enjeux, exprimant ses diverses approches, dont la réunion permettra de mieux caractériser les nouvelles frontières internes et externes qui la constituent. La réunion de tous ces travaux devrait permettre de faire avancer les réponses à l’interrogation récurrente que soulèvent aujourd’hui ces nouvelles frontières : l’économie sociale et solidaire, quelle unité ? Plus prosaïquement, qu’est-ce que vraiment l’économie sociale et solidaire ?
Afin d’organiser en amont les contributions, nous proposons différentes entrées pour aborder l’économie sociale et solidaire. Chacune devrait permettre d’éclairer une part des nouvelles frontières de l’économie sociale, de traiter les débats que ces dernières soulèvent, de faire droit aux différentes approches dont l’économie sociale et solidaire fait l’objet.
Nouvelles frontières et histoire
Pour traiter des frontières, on propose de distinguer entre l’histoire longue et l’histoire courte, quitte à articuler ces deux historicités. Comme la référence à Charles Gide [fondateur de la Rec-Recma] a cherché à le suggérer, l’économie sociale et solidaire compose un ensemble de pratiques et de théories dont les dénominations, de même que ses composantes internes et ses lignes de démarcation, changent et évoluent au cours du temps. Ainsi, au niveau des théories, le fil rouge qui marqua la frontière externe des théories pionnières de l’économie sociale et solidaire en France, autour du concept d’association, fut sans doute leur critique commune de l’Économie politique anglaise.
Depuis le début du XIXe siècle jusqu’à la fin du XXe siècle, il y a une histoire longue à faire, ou à refaire, des frontières internes et externes de l’économie sociale et solidaire, au niveau de ses pratiques et de ses acteurs comme au niveau de ses théories. Elle sera bien sûr l’histoire de leurs évolutions mais aussi des débats que la question des frontières a soulevé : le socialisme a pu ainsi être un courant de pensée situé dedans puis dehors.
En complément, il y a une histoire courte qui est, à partir de la fin du XXe siècle, celle de l’émergence (en France ?) de la nouvelle dénomination d’économie sociale et solidaire qui a succédé à l’opposition entre l’économie sociale, d’un côté, et l’économie solidaire de l’autre. Comment cette dénomination a-t-elle émergée ? Quels en ont été les premiers acteurs qui l’ont promu ? Quels glissements de terrain manifeste t-elle ?
À la croisée de l’histoire longue et de l’histoire courte, on pourra situer la nouveauté de l’économie sociale et solidaire dans une perspective de longue durée.
Nouvelles frontières et repérages statistiques
L’une des manifestations les plus évidentes de l’économie sociale et solidaire est celle de son existence statistique. À partir d’une convention établie par un travail conjoint entre l’Insee et le Cncres, une statistique nationale de l’économie sociale et solidaire [voir l’intervention de Philippe Kaminski au XVIe colloque de l’ADDES] a vu le jour qui dessine ses frontières internes, en la divisant entre ses quatre composantes statutaires (coopératives, mutuelles, associations employeurs et fondations), et ses frontières externes, en la distinguant du hors économie sociale et solidaire public et privé.
Cette nouvelle donne statistique permet une connaissance quantitative de l’économie sociale et solidaire qui éclaire sa diversité et ses spécificités. Nous sommes ici au début d’un chantier de connaissance que les XXXIIIes Journées de l’AÉS souhaitent faire progresser.
Mais, ces nouvelles frontières statistiques font l’objet de débats. Ainsi, il n’est pas neutre de limiter le monde associatif aux associations employeurs. D’autres statistiques sont également disponibles (voir le rapport du CNIS 2010 intitulé « Connaissance des associations ») pour un autre point de vue sur les associations, par exemple, qui prendrait en compte dans l’économie sociale et solidaire le bénévolat.
Nouvelles frontières, social business et responsabilité sociale des entreprises
L’une des manières d’aborder aujourd’hui l’économie sociale et solidaire privilégie une approche en terme d’organisation. C’est d’ailleurs un point de vue ancien si l’on se reporte à Georges Fauquet puis à Claude Vienney. Ce fut plus récemment la perspective choisie par le guide de l’économie sociale et solidaire du CIF-OIT (2010) qui substitue volontiers à l’économie sociale et solidaire les organisation de l’économie sociale et solidaire (OESS). Avec cette perspective, les frontières tracées par les statuts font problème dans la mesure où les statuts ne sont qu’une partie des organisations.
Quand on choisit cette entrée par les organisations, plutôt privilégiée par les sciences de gestion, que devient l’économie sociale et solidaire ? Quelles sont les différentes approches en lice (entreprise sociale, social business, entrepreneuriat social) qui la recomposent, comment s’articulent-elles ou, au contraire, s’affrontent-elles autour de la « nouvelle économie sociale » ? Les entreprises classiques développant de la RSE font-elle partie de l’économie sociale et solidaire ? Au contraire, les OESS communiquant sur leur RSE marquent-elles par là un isomorphisme avec l’entreprise capitaliste ? L’usage de la norme ISO 26 000 (en voie avancée de labellisation [voir également ISO26000 et bilan sociétal) peut-il fonder de nouvelles frontières ?
Nouvelles frontières et développement durable
L’une des entrées privilégiées par les politiques publiques qui les amènent à aborder l’organisation de l’économie sociale et solidaire est sans conteste la question environnementale dans le cadre de l’Agenda 21. Qu’il s’agisse de la gestion des déchets, d’une agriculture durable, d’une croissance soutenable, la question écologique croise la route de l’économie sociale et solidaire. Dans cette rencontre, n’y a-t-il pas alors le risque d’une réduction du social à l’écologique en éludant la question des rapports sociaux, de la démocratie en particulier, au profit des seules normes de la qualité environnementale ? Peut-on se suffire d’un bilan carbone exemplaire pour communiquer sur sa responsabilité sociale ?
À l’inverse, la question environnementale peut-elle servir de levier pour interroger les modes de production et de consommation afin de les rendre plus conformes à une économie au service de l’homme comme dans l’exemple des circuits courts ?
Nouvelles frontières et impuissance publique
Pour beaucoup l’avancée de l’économie sociale et solidaire n’est que l’autre face du recul de l’État dans la gestion des services publics et de la solidarité. Qu’il s’agisse de la santé ou de la politique de solidarité, ce glissement a été maintes fois repéré, qui se traduit aussi par la réduction du financement public des associations. Ainsi, les mutuelles de santé augmentent le volume de leur couverture (même si elles perdent en part de marché) et les fondations augmentent leur part dans le financement des associations. C’est enfin le glissement vers une gestion en partie marchande comme dans le cas des services à la personne avec la nouvelle régulation de quasi-marchés.
Comment repérer, mesurer et analyser ce glissement de terrain où l’avancée de l’organisation de l’économie sociale et solidaire est l’autre nom du retrait de l’État ? Ne peut-on pas concevoir une nouvelle alliance entre l’ESS et l’État qui, comme l’a proposé François Soulage, se fonde sur la distinction entre, d’une part, les associations complémentaires de la politique publique et, d’autre part, les associations relais, invitant à revoir la conception de la solidarité en lien avec les prélèvements sociaux ?
Nouvelles frontières et développement des territoires
Beaucoup des travaux actuels sur l’économie sociale et solidaire portent sur les territoires parce que l’organisation de l’économie sociale et solidaire est consubstantiellement une économie de la proximité et du développement local. Au niveau des territoires, comment l’ESS s’inscrit-elle dans les logiques économiques, comment les modifie-elle ? Comment déplace-elle les frontières au sein, par exemple, des pôles territoriaux de coopération économique ?
La diversité de l’ESS apparaît-elle sur un même territoire ou existe-t-il une ESS différente selon les territoires en fonction de leur histoire, de leur spécialisation économique ou, encore, des politiques publiques locales ?
Nouvelles frontières et innovation sociale
Beaucoup des appels à projet lancés par les collectivités territoriales (les départements en particulier) en vue d’y développer l’économie sociale et solidaire se centrent sur l’innovation sociale. De sorte que l’on observe une sorte d’injonction politique à l’innovation sociale tous azimuts qui serait le remède aux problèmes sociaux. On voit ici le risque d’une instrumentalisation de l’organisation de l’économie sociale et solidaire par les politiques publiques. Prévenir ce risque suppose sans doute de mieux relier innovation sociale et utilité sociale afin d’éviter un effacement de toutes frontières.
Mais, l’innovation sociale correspond aussi aujourd’hui aux nouveaux dispositifs de coconstruction d’activités entre des acteurs de l’ESS et des acteurs publics ou des grandes entreprises privées. Dans les deux cas, si les frontières ne sont pas supprimées, l’innovation sociale est porteuse de nouvelles modalités de construction des frontières externes en laissant une zone non vide entre le dehors et le dedans.
Nouvelles frontières et droit
Le droit a été au cours de son histoire un acteur important des frontières de l’économie sociale et solidaire, segmentant ses composantes à la fin du XIXe siècle entre les coopératives (loi de 1867), les mutuelles (loi de 1883) et les associations (loi de 1901), segmentant entre 47 statuts différents les coopératives, rapprochant les coopératives des sociétés anonymes au point d’en faire une déclinaison (loi de 1867). Aujourd’hui ne fait pas exception à cette règle et les débats sur le droit sont vifs.
Le rapport Vercamer de 2010 sur l’économie sociale et solidaire avait posé la question d’un label qui serait la manière d’identifier mais aussi de renouveler les frontières de l’économie sociale et solidaire ? Où en est-on aujourd’hui par rapport à ces stratégies de labellisation ? Un autre débat concerne le statut à inventer pour identifier l’entreprise solidaire qui a luimême plusieurs entrées. L’entrée par le droit des sociétés avec la révision proposée du statut de la société anonyme qui, à côté de la finalité du partage des bénéfices, pourrait inclure une finalité sociale.
L’entrée par les structures de l’insertion par l’activité économique qui ont fait naître la volonté pour certaines de s’émanciper de la logique d’insertion et de sas pour devenir des entreprises solidaires avec pour finalité l’intégration.
Enfin, après beaucoup d’autres pays, la France prépare une loi cadre sur l’économie sociale et solidaire. Comment s’y posera la question des frontières ? Sur quels compromis se résoudrat- elle ?
Nouvelles frontières et développements théoriques récents
Si l’économie sociale et solidaire fait aujourd’hui comme hier l’objet d’approche par de très nombreuses disciplines (le droit, la sociologie, la gestion, l’histoire, la géographie), il en est une qui s’est particulièrement construite en lien avec cet objet. Il s’agit bien sûr de cette économie hétérodoxe née de la critique de l’Economie politique par la première génération des théoriciens de l’économie sociale et solidaire au XIXe. La crise des subprimes pose en des termes renouvelés cette question des frontières au sein de la science économique si l’on en croit Joseph Stiglitz (2010) lorsqu’il appelle à la nécessaire révision de celle-ci. Il ne s’agirait plus d’introduire pour cela l’information imparfaite mais de revoir le modèle de l’homo oeconomicus en y intégrant l’altruisme.
Ainsi, l’émergence de l’économie sociale et solidaire pourrait se traduire par une révision des frontières au sein de la science économique au moins à deux niveaux. Au sein, d’une part, de la théorie pure et ici on pense à des travaux sur les concepts d’équilibre en théorie des jeux ou dans le cadre de la théorie de l’équilibre général. Au sein, d’autre part, de l’économie expérimentale qui pourrait trouver une extension de ses frontières en investissant le champ de l’économie sociale et solidaire.
Nouvelles frontières et globalisation de l’économie sociale et solidaire
La nouvelle appellation d’économie sociale et solidaire est une spécificité française, liée à son histoire hexagonale. Pour d’autres pays ou régions du monde, ce « même » objet est construit différemment selon en particulier la place et les formes de l’État et du capitalisme. On parle traditionnellement de tiers secteur (ou de non-profit sector) dans la tradition anglo-saxonne, d’économie populaire en Amérique du Sud, d’économie communautaire au Québec.
Hors des frontières hexagonales, assiste t-on également à une recomposition des objets tels qu’ils ont été historiquement construits ? Au prisme de la comparaison internationale, comment se révèle l’économie sociale et solidaire ?
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Article de Recma